Son mémoire est tellement excellent que je vous invite à le lire si le sujet vous intéresse.
Détail de notre échange de 45' en visio le 11 juin.
Contexte : Bernard Bloch est en charge du projet social au sein de l’AS Musau, club amateur implanté dans un quartier prioritaire de Strasbourg. Engagé depuis plusieurs années dans des projets innovants mêlant sport, insertion et inclusion, il apporte un regard engagé et critique sur la place du football dans les politiques locales de cohésion sociale. Cet entretien a été mené dans le cadre d’un mémoire de Master STAPS, portant sur le rôle des clubs de football dans les dynamiques d’insertion sociale. L’objectif était de comprendre comment un club de quartier peut construire un modèle d’action sociale autonome, ancré dans le territoire, et articulé avec les acteurs institutionnels.
Jules Gariazzo : Est-ce que vous pouvez vous présenter, et présenter votre rôle au sein de l'AS Musau ?
Bernard Bloch : J'ai une formation de publicitaire au départ et j'ai développé des expertises en marketing, en communication, en innovation et management de projet. C'est ce que j'ai développé depuis longtemps.
J'avais arrêté le foot en me disant qu'après mes études je le reprendrai. J'ai repris le foot il y a longtemps, en 1987. Et depuis 1987 je suis engagé dans des clubs. D'abord pour faire de la communication, ensuite de la trésorerie. J’ai ensuite pris la présidence d'un club de foot, l’AS Électricité de Strasbourg, pendant 12 ans. J’ai arrêté un an et, depuis 2018, je suis vice-président à l'AS Musau où je porte le projet social. Ce n’est pas la partie sportive qui m'intéresse, il y a assez de monde. Évidemment, j'y suis mêlé bien sûr, mais c'est la partie sociale qui m’intéresse. Il se trouve que le foot, c'est le sport le plus populaire de France.
S’il y a des jeunes qui viennent dans un club et qui repartent simplement en progressant au foot je pense qu'on a loupé notre mission et que l'idée c'est quand même de l'aider à devenir professionnel, ou au moins que ce soit un être épanoui dans sa vie privée et professionnelle.
Dans le mot épanouissement, on peut y mettre beaucoup de choses. Ce sont des jeunes en difficulté et la question, c’est comment on les amène vers le monde de l'adulte, le monde de l'emploi. Pareil sur l'émancipation des femmes, le handicap, etc.
JG : Donc vous, c'est cette notion d'insertion sociale qui vous a motivé à prendre ce poste ?
Oui, et j’ai développé ce poste depuis pas mal d'années.
JG : Et donc c'est vous qui l'avez créé ce poste dans votre club ?
J'ai développé le projet social. Il y en avait un qui était au balbutiement. En créant un poste dédié, cela a permis d’étoffer et de concrétiser des projets et des actions.
JG : Donc, avant que vous preniez ce rôle, il y avait un peu moins cette notion-là à l'AS Musau ?
Oui, ils faisaient des choses qui étaient déjà un peu initiées. Si tu regardes dans le Guide des formations ou sur le site de la Fédération Française de Football, tu trouvais pas mal de choses, des idées d'actions qui peuvent être menées dans le cadre de ce qu'ils appellent le projet éducatif football, le PEF.
Donc, il y a beaucoup de fiches d’actions que tu peux organiser à droite, à gauche. Il y a vraiment une source d'inspiration énorme là-dedans. Ensuite, c'est qu'est-ce que concrètement on décide de faire. Il faut aussi savoir qu’il n’y a pas d'aide de l'État sur le sport lui-même. Il y a des aides que si tu as des sportifs de haut niveau. Tu as des aides des territoires si tu embauches du monde mais tu n’en as pas parce que tu es un gros club ou un petit club. Cependant il y a des aides depuis des années sur les projets.
Aujourd'hui c'est le management de projet dont il est donc question. Donc tu as des appels à projets auxquels il faut savoir répondre. je prends l'exemple de celui pour « Strasbourg, capitale mondiale du livre », il y a de l'argent à chercher là-dessus et on y a répondu pour lancer des projets. J'ai organisé des rencontres littéraires que j'animais dans le club de foot. On a en ce moment aussi un gros projet de bande dessinée avec la HEAR, l'École des arts décos de Strasbourg.
Il y a aussi des appels à projets sur des actions qu'on peut mener avec les habitants du quartier pour le développement du foot féminin, etc. Et donc il faut imaginer des actions et pouvoir les créer.
JG : OK très bien et du coup-là, comme vous venez de me le dire, votre idée ce n’est pas de cibler uniquement les licenciés du club, c'est de faire des actions qui vont être tournée vers toute la population autour du club.
Pendant longtemps, je me suis intéressé aux licenciés du club et il y a encore beaucoup à faire. Aujourd'hui, ça va, je vais au-delà, je vais avec les familles des licenciés.
Admettons que si un jeune recherche un stage et qu'il rencontre des difficultés, le club doit pouvoir l’aider. Surtout que je suis dans les clubs de quartier, je ne suis pas dans les clubs huppés, ce n’est pas ce qui m'intéresse. Il y a des jeunes qui sont certainement en recherche de stage de 3e, des stages de 2nde et ils vont aller chez le père ou des copains du père. Mais ce ne sont pas spécialement les métiers qui les intéressent. Et nos licenciés ont peut-être aussi des frères et sœurs qui sont dans la recherche, des parents qui sont peut-être au chômage.
Quand on a la chance d'avoir du monde dans un club, on a une responsabilité. Et si je peux aider les familles à trouver du boulot ou à mieux comprendre qui s'occupe de quoi en termes de santé, de droit des personnes, de défense de femmes battues, etc, ça m'intéresse, même si derrière, on a nos éducateurs dans les clubs qui ne sont pas formés à ça : ils sont formés à la partie sportive.
JG : Et donc vous, concrètement, quels sont les gros projets que vous mettez en place au sein de l’AS Musau ?
Au départ, l'AS Musau est un club populaire qui se développe, il y a de plus en plus de monde, on n’est pas loin des 500 licenciés maintenant. Historiquement, depuis bien 25 ans, il a développé le foot féminin alors que ce n'était pas du tout à la mode et qu’il n’y avait pas d'aide financière là-dessus. Aujourd'hui tout le monde s'y met parce qu’ils n’ont pas le choix. Même les clubs pros sont obligés de s'y mettre. Donc, nous, on est déjà là-dedans.
Avant que j’arrive dans le club, ils faisaient déjà des actions, organisaient des stages de jeunes, etc. Ce qu'on essaie de faire maintenant, c'est par exemple d’organiser des tournois de foot à 8 pour des entreprises et ils sont obligatoirement mixtes. Le but, c'est déjà de casser la logique, de passer de « vous venez pour gagner » à « vous venez pour passer un bon moment ». Et ce n’est pas parce qu'on a des filles dans l’équipe qu’on ne va pas gagner. L’idée est de changer l'état d'esprit et de montrer la réalité du foot, dans ses diversités.
Autre exemple : le 25 septembre prochain, on coorganise une journée « Du Stade Vers l'Emploi » qui est un dispositif de France Travail, avec la Fédération Française de Foot. Il y en a aussi dans toute la France avec les fédérations de rugby, d'athlétisme, etc. Il s’agit d’un super job dating d'une demi-journée ou d'une journée dans les clubs où le matin, les chercheurs d'emploi, les conseillers France travail et les recruteurs font un tournoi de foot ensemble. Personne ne sait qui est qui en fait et après 12h00 ils échangent. Ça casse complètement la barrière quand tu joues au foot avec quelqu'un ou que t'as pris la douche avec lui. Il y a moins de relations de maîtres à esclaves entre le recruteur et le demandeur d'emploi. C'est la France travail qui recrute les entreprises.
On a aussi une autre grosse action qu’on est en train d’organiser pour le 6 octobre prochain chez nous au club et qu’on co-développe avec la Mission Locale autour du l’orientation professionnelle, du sport santé et de la santé mentale. On proposera des activités sportives autour du football et parallèlement, il y a des stands sur les thèmes du droit, des citoyens et la santé. Donc ça, ça s'adresse à toute la population des quartiers prioritaires de la ville qui sont autour de nous. C’est en partie une réponse à un appel à projet de la Ville et mené par une Mission Locale, mais c'est nous qui le faisons avec eux. On profitera aussi de cette journée pour inciter au bénévolat et valoriser les compétences de nos membres, notamment de nos éducateurs parce qu'aujourd'hui ils sont bénévoles.
Il n’y a pas vraiment d'aide sur le bénévolat. Il y en a si on paye des impôts pour déduire des frais engagés et offerts, mais il n’y a pas d'aide réelle. L'État, depuis 30 ans, refuse de donner des points retraite pour ceux qui sont des bénévoles engagés. Ça coûterait une fortune, je peux comprendre le point de vue de l'État mais pour les bénévoles, c'est quand même un peu dommage.
Ce que je veux faire, c'est pour quelqu'un qui est entraîneur d'équipe de lui permettre de transformer ses compétences bénévoles en compétences professionnelles.
JG ; Et vous, quel constat vous tirez de toutes ces actions, est-ce que vous avez des bons retours ?
Alors il y a un réseau qui s'appelle « Aller vers l'emploi », et il y a des Missions Locales, France Travail. Il y a plein d'acteurs qui sont sur ces questions-là, comme l’École de la Deuxième Chance et d'autres acteurs qui sont là-dessus parce qu'il y a une politique d'État.
Mais pour moi, il y a un énorme absent qui sont notamment les clubs de foot. Pourquoi ? Parce que en fait, tous ces dispositifs s’adressent à des jeunes. Ils essaient de faire venir des jeunes à France Travail ou ailleurs. Or, les jeunes, ils vivent notamment dans les clubs de foot en grand nombre. C’est donc plus simple d'aller dans les clubs pour sensibiliser à tout ça, et je maintiens qu'il y a un énorme absent qui sont les fédé sportives.
Même s’il y a des développements. Il y a eu des appels à projets avec les JO, justement de l'État et de France Travail, notamment Impact 2024 qui est un gros appel à projets. Ça montre bien la politique de l'État. Voilà, l'État a créé aussi un groupe qui s'appelle « Les clubs sportifs engagés », dans lequel on est. Ce groupe fait le pendant des entreprises qui s'engagent. L'État n'a plus d'argent, ils espèrent que les entreprises vont s'engager pour aider les clubs.
On sait que l'État n'a plus d'argent, donc de toute manière si tu veux continuer à vivre il faut trouver de l’argent. Et tu trouveras de l'argent si tu es utile à quelque chose quoi ; si tu ne sers à rien, ce n’est pas la peine d'exister ou de monter un projet.
JG : Et c'est vrai que du coup, comme vous dites, le football permet d'avoir cette force de frappe que n'auront pas certaines associations qui sont spécialisées. Ça vous permet d'avoir un public déjà disponible.
Oui, c'est là où il y a le plus de monde. Si je prends le club de l’AS Musau, on est près de 500 et ça représente 2500 habitants sur le quartier avec les familles, les parents et les frères. En gros, ça fait tout de suite du monde. Donc, mener une action ici, ce n’est pas comme mener une action pour faire plaisir à 10 personnes. Et moi, je ne veux pas leur faire plaisir, je veux être utile en fait. Je veux que l’AS Musau soit un laboratoire d'expérimentation pour l'ensemble des clubs sportifs de France, voire d'ailleurs. Et tout ce que je fais, je communique beaucoup dessus. On partagera notre matière si on doit faire des fiches, des descriptifs, comment on accompagne. S'il y a d'autres clubs qui veulent nous piquer des trucs tant mieux, c'est le but. Voilà donc c'est vraiment dans cet esprit. Je le fais sachant que ça n'existe pas ailleurs ou très peu.
Les fédé ne s'intéresseront pas à ça ou alors seulement s’il y a des aides de l'État ou autre. Mais je comprends. Si je prends le District d'Alsace de Football, elle doit organiser des milliers de matchs et, chaque week-end, il faut éviter les violences envers les arbitres. Son coeur de métier, c'est d'organiser des matchs et que ça se passe bien. Et de gérer des centaines de milliers de licenciés.
Nous, on est un club où les gens savent qu’on ne paye pas nos bénévoles et qu’il n’y a pas de prime de match. Il n’y a pas de truc comme ça. Donc, si on veut que les gens viennent chez nous, il faut qu'on ait des éléments de différenciation, comme on dirait en marketing. Et pour nous différencier déjà, on est un club réputé très familial et tout le monde le reconnaît. Mais c'est aussi de se dire, si vous mettez votre enfant chez nous, nous, on va l'aider à essayer de s'engager dans la vie du club et à rajouter des lignes sur son CV pour plus tard. En fait, c'est ça notre promesse.
JG : On m'a dit que le sportif n'apportait plus tant que ça, et que ce qui permettait au club de survivre, c'était surtout le fait d'avoir ces actions qui vont permettre de ramener plus de sponsors, etc, et c’est ce qui intéresse le plus les entreprises.
De toute manière il n’y a jamais vraiment eu de l'argent pour la partie sportive et cependant il y a de l'argent sur la partie sociale, on va dire la cohésion sociale. Aujourd'hui, l'État n’a plus d'argent. Ceux qui ont de l'argent, ce sont les entreprises, ce n’est pas non plus la Mission Locale ou autre, ce sont les entreprises. Mais qu'est-ce qu'elles auront en échange d’argent ? Pourquoi les entreprises me donneraient de l'argent pour mettre son logo s’il n’y a que peu de monde qui le voit. Mon club ne leur sert à rien et je le leur dis avec plaisir : ils vont me donner 300€ pour mettre un panneau autour du stade mais nous leur proposons une autre solution : plutôt que d'être sponsor, soyez mécène du club. Avec vous, on va organiser des tournois mixtes, etc. Ça rentre dans votre logique RSE.
Comment mon club peut s'intégrer dans leur logique de responsabilité sociétale d'entreprise ? En fait, je peux agir sur l'environnement et notamment sur le facteur humain social. Vous voulez le bien être de vos salariés ? On peut organiser un tournoi chez nous. Donc en fait, c'est gagnant-gagnant. Donc moi je vais jouer ces cartes-là et l'un de mes axes, c'est comment transformer un sponsor en mécène, en fait.
Il y a aussi de plus en plus de formations socio-sportives. Ce qui change, c’est qu’avant il y avait pas mal de formations pour être entraîneur, on va dire dirigeants, présidents, mais ce qui se développe maintenant, ce sont des formations socio-sportives. Moi, si je développe ce type d'actions et que ça me permet de faire de l’argent, je vais pouvoir recruter quelqu'un pour développer ces actions-là. Et surtout, l'autre aspect, c'est qu’on peut proposer des actions dans la journée. Un club de foot il est en action les mercredis et les soirs pour les entraînements, et le samedi et le dimanche pour les matchs. Un club de foot existe peu durant la journée ou très peu, donc potentiellement il y a beaucoup de créneaux que nous pourrions utiliser si tu as quelqu'un qui peut développer des actions avec les entreprises, comme le ferait un coach ou une boîte d'évènementiel.
JG : Je voulais revenir sur la notion de partenaire. Selon vous, quels sont les partenaires-clés du club à l'heure actuelle ?
Ça fait quelques temps qu'on essaie de pousser ce genre d'actions, on le fait un peu à droite à gauche, mais on n’a rien signé comme partenariat officiel. Cependant, on répond à des appels à projets. On a des aides là-dessus et ce ne sont pas des partenariats en tant que tels. Cependant, les deux que je cible sont clairement France Travail et la Mission Locale sur le secteur. C’est en bonne voie. Après, je pourrais en trouver d'autres.
J’explique cela sur le site du club. Par exemple, le tournoi Interentreprises que j'organise depuis quelques années, sur les 6 équipes qu’on avait réunies en juin dernier, il y en avait 3 qui venaient de l'économie sociale et solidaire. Il y avait une équipe d’Unis Vers le Sport, une d’Emmaüs Connect qui fait de la récupération d'ordinateurs et qui aide sur la partie inclusion numérique, et j'avais une équipe de l'École de la Deuxième Chance pour la première fois. Ils ont fait une affiche pour essayer de recruter des jeunes. Ils ont monté une équipe et ils nous ont demandé s’ils pouvaient venir s'entraîner. Ils se sont entraînés avec nos seniors 2 et c'est déjà bien. Et ils sont venus jouer. Voilà, ils ont monté un truc, on leur a donné le prix du fair-play.
JG : Est-ce que vous arrivez à rendre vos actions annuelles ?
Les FOOTà8 mixtes, existent depuis trois ans. Il y a aussi le Stage de Pâques qu'on organise pour les jeunes ou il y a des sensibilisations mais pas seulement sur l'environnement, mais aussi sur les questions de harcèlement, sur les questions d'arbitrage.
Et là, dans les projets récents, il y a les 2 avec France Travail et la Mission Locale qui sont plus solides et qui s'attaque vraiment à l'emploi et aux stages obligatoires.
Juste un point, l’accompagnement scolaire on a arrêté de le faire parce que on n’a pas de lieu pour ça, on n’a pas vraiment de salle. La Ville ne nous met pas de salle à disposition, et c’est assez compliqué de le mettre en place dans notre club-house pour accueillir beaucoup de monde.
JG : Les actions que vous mettez en place quelles, sont les principales difficultés que vous allez rencontrer ?
Le problème, c'est déjà trouvé de se mettre d'accord avec différents acteurs pour pas faire du greenwashing parce que souvent les acteurs, eux ils mettent leur logo, ils sont contents. Moi je veux les aider à être utile eux aussi. Cela étant, s’ils me donnent de l'argent, moi je suis preneur aussi. Mais pourquoi ils me donneront à moi plutôt qu'un autre. Donc j'essaie de me différencier.
Après, en termes de ressources humaines ce sont plus les éducateurs, les entraîneurs, les dirigeants que je mobilise, mais ils sont déjà tellement mobilisés toute l'année. Chez nous, nous sommes 70 bénévoles engagés et, dès qu'y a un une équipe qui veut faire un truc, on a tout de suite 10-15 qui rappliquent pour aider. C'est formidable, c'est une vraie grande famille ici. Les éducateurs forment vraiment une team super.
Maintenant, si on va sur la partie sociale, ça demande d'autres compétences. On a commencé à faire des réunions justement avec la Mission Locale et des gens du club chez nous qui sont managers ou qui s'occupent de ces questions-là dans leur vie professionnelle. On commence à avoir une petite douzaine de personnes potentiellement qui apportent du jus de cerveau sur les questions sociales. Je ne le dis pas au mauvais sens du terme, par rapport aux autres, mais c'est une dynamique de management de projet. Comprendre les enjeux et les acteurs, ce n’est pas de simplement gérer un stand, ce n’est pas ça. Il faut parler aux jeunes à un moment, donc ça on est en train de le mettre en place.
Mais pour mobiliser ces personnes, il n’y a rien qui est offert par l'État. Il n’y a pas de mécénat de compétences, c'est très rare. Ça c'est aussi un autre sujet qui peut être développé.
Le dernier truc, c’est comment je fais perdurer ce projet-là. Pour cela, plus on aura des actions avec des partenaires pérennisés vite, plus ce sera simple de passer le relais après moi. Je le dis car, dans six mois, je serai en préretraite. Et je me mets volontairement en préretraite, car je veux développer cette partie-là dans mon club. Surtout si on va faire des trucs en semaine la journée.
JG : Vous, vous êtes tout seul sur ce plan-là, au club où il y a d'autres personnes qui vous aident ?
Je porte beaucoup de choses mais y a la Secrétaire, Estelle, qui a beaucoup fait pour le foot féminin. Et puis j'ai donc trouvé donc cette douzaine de personnes. Ce n'est pas leur fonction professionnelle mais on peut s’aider d’eux. Voilà, avant j'étais seul, là on commence avec ces deux grosses actions qui arrivent et qu'ils ont à préparer.
JG : Quand j'ai posé la question à certains clubs des problèmes qu’ils rencontrent, ils m'ont parlé notamment de la problématique de certains éducateurs qui ont cette envie de surtout se focaliser sur le sportif, et donc ils rencontraient cette difficulté de les impliquer dans ce projet social là. Est-ce que vous aussi vous rencontrez cette difficulté ou pas ?
Je vais te donner une anecdote : il y a environ une dizaine d’années, un article est paru dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace. Cet article révélait que 11 des 17 clubs de Strasbourg avaient décidé d’arrêter leurs équipes U18. La raison invoquée ? Les jeunes ne payaient pas leur licence et créaient beaucoup de problèmes et de désordre. Les clubs en avaient assez. Ils disaient que ce n’était pas à eux de faire du social.
L’article est sorti un mardi. Le lendemain, le mercredi, les 17 présidents de club ont reçu une lettre du Préfet. Et le vendredi, une réunion d’urgence a été organisée à la Ligue d’Alsace de Football. Il y avait le responsable de la police, le préfet, enfin voilà, tout le monde était là. Et ils nous ont dit : « Quoi, vous voulez vraiment laisser tous ces jeunes dans la rue ? Ce n’est pas possible. » Et nous, on répondait : « Oui, mais ce n’est pas à nous de tout faire non plus. Nous, on est un club de foot. »
C’est à ce moment-là qu’on a bien vu qu’il existe, grosso modo, trois grandes catégories de clubs. Alors je parle pour le foot, mais à mon avis, c’est pareil dans d’autres disciplines. Mais le foot étant le sport le plus populaire, c’est là que ça se voit le plus.
Premièrement, tu as les clubs qui se concentrent uniquement sur la performance sportive. Eux, ils ne veulent pas entendre parler de l’aspect social. Ce sont souvent des clubs professionnels ou assimilés. S’ils doivent faire une action, ce sera du type : « On distribue quelques billets gratuits. » Mais ce n’est pas vraiment une action sociale, c’est du donnant-donnant, très ponctuel.
Deuxièmement, tu as des clubs qui accueillent un public en grande difficulté sociale. Dans ces cas-là, le projet social passe avant tout, le sportif devient secondaire. Le club devient un vrai acteur de terrain sur les enjeux sociaux, parfois même avant d’être un club de sport.
Et enfin, tu as une troisième catégorie – celle dans laquelle je nous place – qui essaie de conjuguer les deux. Pour nous, la performance sportive reste importante : on est un club, notre coeur de métier c’est le sport, il ne faut pas se raconter d’histoires. Mais on n’est pas idiots non plus : on sait qu’il y a une responsabilité sociale derrière, qu’on ne peut pas ignorer. Après, selon les clubs, on va plus ou moins loin dans cette dimension sociale, et c’est ça qui fait la différence.
Et donc, avant de parler d'éducateur, ça concerne le club lui, même si le club est déjà dans cette logique-là, il a déjà commencé à recruter différemment, à la fois ses joueurs et ses éducateurs.
Et il n’y a pas beaucoup de formations qui existent. Par exemple, récemment, la Ville a réalisé un état des lieux des 17 clubs de Strasbourg, sur les problèmes d'infrastructure et compagnie. Juste pour te dire, sur les 17 clubs, il y a peut-être 5 clubs qui sont capables de faire un bilan financier digne de ce nom. Et si je devais rajouter, combien selon moi sont capables de répondre à un appel à projets sur un projet social, je pense que seulement 3 ou 4 savent le faire dont moi, parce que c'est notre métier professionnel. Mais les autres clubs n'ont pas du tout ces profils. La Ville aimerait donc accompagner aider les clubs à faire ça en même temps. S’il y a 17 clubs qui répondent, il n’y aura toujours que 4 élus à la fin.
JG : Pourquoi est-ce que vous avez eu cette envie de vous lancer dans ce projet social dans ce club ?
Quand j’ai arrêté ma présidence, j’ai eu envie de changer de club. Avec des amis, on est allé dans celui-là parce qu'on savait qu'il y avait une ambiance plutôt sympa, très familiale, et en regardant ce qu'ils faisaient, je me suis dit qu’on peut essayer de faire quelque chose, parce qu'il y a déjà un bon état d'esprit. Il y a un bon tissu au départ et socialement le public cible, il est là de toute manière.
On a des managers de projet qu'on a fait rentrer au comité, le Comité du club n'a plus la même gueule. Notre Président est parfait sur la partie sportive, mais ce n’est pas lui qui va prendre beaucoup la parole en public, on va dire ça, et il me la laisse avec plaisir.
On est plutôt un club à deux têtes et je ne lui prends pas la place. Je ne veux surtout pas être Président.
JG : Oui, je vois très bien. Maintenant, concernant les futurs projets, est-ce que vous avez des projets ou des thématiques que vous souhaiteriez développer prochainement, sur lesquels vous travaillez déjà, peut-être ?
Il y en a qu'on a décidé d'abandonner pour le moment se concentrer justement sur l'émancipation des femmes et l'inclusion sociale des jeunes. Enfin, l'inclusion sociale d'une façon générale des membres et de leur famille.
On a aussi stoppé la partie handicap parce que bon voilà, on ne peut pas aller sur tous les terrains. On l’a en tête, parce qu'on sait que ce serait logique en termes de RSE, mais c’est pareil, on n’a pas de salle. Et la Ville ne met pas aux normes les infrastructures existantes.
JG : Votre pôle de d'insertion sociale, est-ce que vous avez pour projet de le développer avec d'autres personnes, de continuer à l'enrichir ?
Oui, on veut aller jusqu'à au recrutement. En fonction du nombre d'actions. C'est un nouveau modèle économique pour le club aussi. Mais recruter, ça ne doit pas être un coût. Si on sait qu'on va gagner de l’argent, alors on peut financer un recrutement. Et si on peut faire deux fois plus d'actions, c’est super.
C'est plus simple potentiellement pour moi de recruter sur la partie socio-sportive parce que, là, potentiellement, on rentre de l'argent. Sur la partie sportive pourtant, on aurait des besoins des managers sportifs, mais il n’y a pas d’argent aujourd’hui pour recruter.
JG : Effectivement le sportif c'est assez compliqué d'investir là-dedans finalement...
C'est que le retour sur investissement n’est pas stable. Sur la partie sociale, on peut trouver. Voilà on ne va pas mener les actions qui nous coûtent de l'argent sans que ça rapporte.
JG : Est-ce que vous avez observé un changement de regard ou de reconnaissance du club par rapport aux institutions par rapport à vos actions ?
Mon club était dans l'ombre, discret. Là, il vit heureux, un petit peu moins caché. On est certainement celui qui communique le plus en Alsace, je pense, de façon plus intelligente en tout cas.
On commence aussi à prendre des étudiants qui viennent vers nous parce qu'ils ont vu, parce qu'on est un des rares clubs sur LinkedIn. J’ai créé cette page sur Linkedin pour parler aux étudiants et aux entreprises. Et pour que nos éducateurs n'hésitent pas à dire qu'ils sont entraîneurs chez nous, en taguant le club. Tout ça, ça fait partie de la E-réputation du club. Et de la leur. Je prépare le terrain en e réputation pour aller démarcher demain des entreprises. Sportivement, on n’est pas terrible, mais en tout cas, sociologiquement, on est un cas à part !
JG : Toutes ces actions sociales, est-ce que vous arrivez à les quantifier et à les mettre en avant ?
Le meilleur indicateur, c'est la fierté des membres du club et surtout des éducateurs de façon générale. Quand ils voient qu'on fait ça, ils n’ont pas honte de dire qu'ils sont chez nous dans le club, voilà. Mais en tant que tel, je n’ai pas vraiment d'indicateur, si ce n'est de dire combien d'argent on arrive à rentrer dans les appels à projets ou le mécénat.
Fin de l’entretien.