samedi 30 septembre 2017

Chronique d'un prof d'université (6)

26 septembre 2017. Chroniques d’avec des étudiants. Nouvelle saison.



Après une belle discussion avec Catherine Ledig, responsable de ce Master, elle m'a proposé un nouveau cours de 4 heures pour sensibiliser à l'industrie du futur les 40 étudiants des deux promos Master 2 AES (Administration économique et sociale) Gestion et Droit de l’Économie Numérique - "Droit de l'économie numérique" et "Commerce électronique" - de la Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion de l'Université de Strasbourg.

Du coup, j'ai récupéré des bribes de cours en les complétant par les expériences et infos agglutinées depuis trois ans que ce sujet me passionne et occupe mon cerveau. Et comme j'ai pas mal bourlingué ces derniers mois dans des communautés de pratique et des mondes collaboratifs (#MAVOIX, Les Facilitateurs d'Alsace, ...), j'ai (enfin) décidé d'appliquer ces notions dans mes cours.

2+5+10



Après une rapide présentation sous forme de warm up, je leur ai proposé une première séquence de travail en sous-groupes, inspirée par ce que m'a appris Adeline Schwander (Les Z'Ailes) : le 2+5+10

  • Vous leur montrez une question, en l'occurrence "C'est quoi l’industrie du futur pour vous ?"
  • Chacun a ensuite 2' pour noter ses réflexions personnelles et une question dont il aimerait avoir la réponse.
  • Ils ont ensuite 5' pour poser leur question aux autres membres du sous-groupe, qui apportent souvent 80% des réponses.
  • Ils ont enfin 10' pour poser aux autres sous-groupes les questions restées sans réponses. Seuls 5% des questions restent en général sans réponse.
A des fins pédagogiques, je leur décrypte la séquence qu'ils viennent de vivre, cet exercice démontrant l'intérêt de réunir des participants pour mettre en commun leur intelligence collective, les obligeant à dialoguer avec des inconnus et à être dans une posture bienveillante et d'écoute active.

2 rêves convergents


Pour la séquence suivante, je les ai répartis en 4 sous-groupes imposés, 1 par rangée de table.

J'ai ensuite demandé à ceux des second et quatrième rang de regarder le mur du fond pendant que je montrais aux autres une question à laquelle je leur demandais de réfléchir.  Puis j'ai fait de même pour les rangs 1 et 3. Les deux questions : C'est quoi une industrie en 2027 ? C'est quoi un salarié d'une industrie en 2027 ?

Après 10', je leur ai demandé de présenter une synthèse de leurs réflexions et de confronter leurs points de vue.


Pour tout projet touchant au numérique, et donc souvent à l'innovation, il est essentiel de se projeter dans un futur éloigné pour imaginer le chemin à court terme pour y parvenir. La séquence de ces rêves partagés permet justement d'avoir une vision, tout en confrontant les points de vue individuels et collectifs, ainsi qu'en essayant d'entrevoir les opportunités et menaces pour les différentes parties prenantes.

J'avais eu la chance de pratiquer cette exercice en tant que participant lors de la toute première session de la communauté de pratique Le facteur humain dans l'industrie du futur, une communauté impulsée par Mireille Hahnschutz (CCI Alsace Eurométropole) dont le design et l'animation des trois premières sessions avaient été confiés à Florence Rémy et Marcellin Grandjean, experts en facilitation et coaching de groupe.

Pour les convaincre, je leur ai projeté ce reportage datant de 1969 sur une petite découverte susceptible de changer le monde...



Les grandes étapes économiques sont toujours liées à l’énergie et aux transports, le tout induisant des changements sociaux…


La troisième partie du cours était plus classique et m'a permis de leur expliquer et d'essayer de leur faire comprendre que les mutations de nos sociétés sont toujours induites par des révolutions techniques liées à l'énergie et aux transports.



Pour aider les étudiants à voir les impacts passés pour comprendre les impacts futurs, j'aime bien leur citer ces deux phrases de Jeremy Rifkin (La troisième révolution industrielle - Ed. LLL - 2012) :

  • Concernant la seconde révolution industrielle : "Pratiquement du jour au lendemain, des millions de gens ont commencé à troquer leurs chevaux et cabriolets contre des automobiles."
  • Concernant notre monde actuel, l'auteur américain explique qu'aujourd'hui, nous sommes à la veille d'une nouvelle convergence entre technologie des communications et régimes énergétiques : "La jonction de la communication par Internet et des énergies renouvelables engendre une troisième révolution industrielle. Au XXIe siècle, des centaines de millions d'êtres humains vont produire leur propre énergie verte dans leurs maisons, leurs bureaux et leurs usines et la partager entre eux sur des réseaux intelligents d'électricité distribuée, exactement comme ils créent aujourd'hui leur propre information et la partagent sur Internet."


Des baby-boomers à la génération Y, Z ...


Au delà des mutations technologiques, je leur explique ensuite l'influence des évolutions générationnelles pour les aider à mieux appréhender les mutations sociétales en cours, la numérisation des entreprises favorisant les collaboration numériques et physiques dans l'entreprise, et vice versa, de même que l'open innovation avec les clients, partenaires et prestataires de l'entreprise.  J'insiste pour qu'ils comprennent que l'entreprise dans laquelle ils travailleront dans un an est constituée d'hommes et de femmes représentant ces différentes générations, et qu'eux même doivent être vigilants pour ne pas apparaître comme des extra-terrestres aux yeux de leurs futurs collègues plus âgés. Pour ancrer cela, je m'appuie sur trois vidéos que je les invite à regarder sans plus attendre sur leurs ordinateurs :


Ces trois vidéos inspirantes nous avaient été projetées lors de la troisième session de travail de la communauté Facteur humain.

Vivre sans attendre l'expérience du futur immédiat 


Après cette récréation vidéo, je souligne la grande différence entre l'efficacité et l'efficience (l'efficacité au moindre coût), et leur explique qu'il est essentiel de savoir écouter et analyser pour comprendre le problème à résoudre réellement. D'autant plus que votre "donneur d'ordre" n'en est pas toujours conscient et qu'il appartient aux différentes parties prenantes, dont eux-mêmes en tant que futur prestataires internes ou externes, de se mettre d'accord sur le problème à résoudre pour co-construire un défi à relever. J'illustre mon propos par cette phrase lue récemment et que je trouve tellement juste : "Nous nous trompons le plus souvent parce que nous trouvons une bonne solution mais au mauvais problème plutôt que de donner une mauvaise solution au bon problème !!"

Je leur présente ensuite le concept d'industrie du futur, vu notamment par les industriels allemands, mais également par la politique Industrie du futur menée en France depuis 2015 avec l'Alliance Industrie du futur, les Régions et les CCI.

J'enchaîne ensuite sur l'importance de rester en veille active sur ces questions industrielles et je les invite à participer et vivre une expérience intense et inspirante lors du Hacking Industry Camp qui aura lieu du 13 au 15 octobre prochain à l'INSA Strasbourg. Cela me permet de leur expliquer comment on passe d'une idée à un projet, puis à un défi. J'en profite pour leur montrer la méthodologie employée par X-Five et Alsace Digitale pour optimiser les chances de réussite d'un défi à relever.


Avant-dernier exercice pour les pousser dans leurs retranchement, je leur propose un exercice que j'ai déjà eu l'occasion d'éprouver auprès de responsables industries il y a quelques mois, et de 120 collègues plus récemment. Un exercice que je ne détaillerai pas ici mais qui les aide à se requestionner sur la base des impacts futurs liés à la technologie blockchain, tous autant qu'ils sont, futurs juristes ou web-marketeurs présents dans cette salle de cours.  

Casser les barrières psychologiques entre vie professionnelle et vie privée


Après ces trois heures en "immersion" dans l'industrie du futur, je leur propose un dernier exercice qui pourrait leur sembler plus futile.

Je les invite à se regrouper en 3 sous-groupes, les obligeant ainsi à former des groupes plus nombreux, et donc nécessitant encore davantage d'attention aux autres. Je leur donne 30' pour avancer sur le thème suivant : "Ils sont 40 ici et viennent de commencer leur année universitaire. C'est donc l'occasion pour eux d'imaginer et d'organiser samedi dans 15 jours une soirée leur permettant de mieux se connaître. 3 groupes et donc, potentiellement, 3 projets différents."


Au bout de 10', je les interromps pour m'assurer qu'ils sont d'accord entre eux sur le problème à résoudre et donc sur le défi qu'ils veulent relever. Évidemment, ils me font de grands yeux car ils étaient tous déjà partis sur un projet, sans avoir pris soin de vérifier qu'ils voulaient répondre aux mêmes besoins entre eux... Je leur montre alors un guide qui peut les inspirer. 
  • Problème à résoudre (défi à relever) ? 
  • Objectif ? 
  • Cibles ? 
  • Votre projet ? 
  • A quel coût (global et individuel) 
  • Comment communiquez-vous, notamment entre vous ? 
  • Avec quels partenaires ? Qui fait quoi, notamment entre vous ? 
Décryptage :
  • Les photos parlent d'elles-même et la proximité entre eux dans chaque groupe de travail, tant physique que culturelle et psychologique, est bien plus évidente dans les 3 sous-groupes présents que dans ceux du début de matinée.
  • Les ordinateurs ont disparu de leurs tables, faisant ainsi disparaître ces murs virtuels qui les séparent physiquement, augmentant d'autant l'écoute active et le foisonnement d'idées.
  • Ces moments de cogitation collective et de co-construction sont propices à la créativité, mais il faut savoir se fixer un cadre et une méthodologie pour avancer dans l'idéation.
  • Le sujet plus proche de leur vie privée casse les a priori et mobilise les énergies de chacun au profit d'un projet euphorisant, leurs sourires traduisant à l'évidence le plaisir vécu à l'instant.
Juste après ces mots, je leur annonce que nous n'aurons plus le temps d'entendre leurs projets, et que l'essentiel de l'exercice visait justement à leur montrer qu'ils étaient parfaitement capable de casser leurs a priori et de travailler rapidement et efficacement ensemble, pour peu que le sujet les intéresse vraiment. Du coup, je les invite à recréer ces dynamiques de co-construction euphorique dans leurs projets futurs, estudiantins ou professionnels, insistant que cela ne dépendait que d'eux-mêmes de créer les conditions favorables à cela.   

Pour conclure et avant de leur souhaiter une très belle année universitaire, je leur ai suggéré de croiser entre eux leurs 3 projets car "je suis persuadé que, sans vous le demander au titre de prof, vous allez avoir envie d'organiser une fête entre vous dans 15 jours !

Les aider à s'accorder le permis de s'assumer !


En complément, et pour ceux qui me connaissent, la constitution d'un groupe est toujours pour moi un moment essentiel et structurant pour leur développement personnel (voir session 2) et surtout mon TEDx consacré au Permis d'être soi-même). 

Pour le premier exercice (2+5+10), je leur avais demandé de se répartir librement en 4 sous-groupes. Puis je leur ai demandé de se lever par sous-groupe à tour de rôle pour faire "coucou" aux autres sous-groupes. Dès le deuxième sous-groupe debout, j'ai demandé aux autres si rien ne les perturbait. Très vite, un étudiant a remarqué qu'il n'y avait que des filles dans le sous-groupe. Effectivement, je leur ai donc demandé de se mélanger, ce qui fût fait dans la minute suivante. Pour le reste, RAS, la mixité culturelle était respecté, donc aucune "leçon" à donner à ce sujet.

Deux autres remarques pour le second exercice des rêves partagés où je leur imposé de se répartir par rangée de tables en leur demandant bien évidemment de se rapprocher de part et d'autre de leurs tables de travail.

  1. 2000 ans de mauvaises habitudes à changer en 10'... Je leur ai laissé 3 minutes avant de les sensibiliser au fait qu'il était important qu'ils se mettent d'accord dans chaque sous-groupe pour désigner une personne qui prendrait les notes et celle qui rapporterait le fruit de leurs réflexions au reste des étudiants.
    2 minutes plus tard, je leur ai demandé s'ils s'étaient mis d'accord sur la personne qui prenait les notes et, devant le "oui" collectif, j'ai demandé aux quatre personnes concernées de se lever. Je n'ai pas eu besoin de leur demander s'ils y voyaient un problème et leur ai expliqué que je trouvais inadmissible que seules des filles étaient debout... Sans débat, je leur ai expliqué qu'avec moi, seuls les garçons prendrait les notes durant mes 26 heures de cours à venir. "OK, c'est du masculinisme", leur ai-je dit, mais dont acte.
  2. Tous pour un et un pour tous ! Cette séquence les a forcés à collaborer avec des voisin-e-s qu'ils connaissaient moins et je leur ai expliqué, après coup, la nécessité pour chacun d'être vigilants et de s'assurer que chacun prenait bien la parole et pouvait s'exprimer, qu'ils formaient une équipe projet et que leur force était collectives grâce aux super-pouvoirs que chacun d'eux individuellement pouvait apporter au collectif.

Chronique d'un prof d'université (5)

Comment je suis devenu prof en mutations numériques et sociétales ?


Bon, je vais commencer par resituer le contexte. Dans les années 90', alors que j'étais devenu un fils de pub, j'ai eu la vision d'un monde en devenir en découvrant de nouvelles expressions comme Internet et Intranet. Très rapidement, je me suis documenté et j'ai pu créer les premiers sites internet de mon énergéticien régional préféré (1998) ainsi que son intranet (déployé en 2000). Mais quand il s'est agi quasiment dans la foulée de créer les premiers services en ligne, je me suis souvenu qu'après avoir réussi à échouer (merci Boris Cyrulnik - Un merveilleux malheur - Ed. Odile Jacob - 2002) mes études de médecine, j'avais essayé de m'orienter vers la publicité et l'informatique et que c'était la publicité qui m'avais finalement choisie. L'histoire se répétait et j'étais vraiment à la croisée des chemins.

Le problème de ce monde d'alors, c'est qu'il existait des agence web, des sociétés d'informatique, mais très très peu d'experts capables de développer des projets de commerce électronique. Du coup, j'ai découvert et décidé de suivre une formation continue en Commerce électronique, imaginée par Catherine Ledig et Kostas Nanopoulos à l'École de management de Strasbourg. Outre le fait d'y rencontrer des profs et des "camarades de classes" devenus de vrais bons amis, cela m'a permis de créer une team et un pôle e-business (merci Sendil SinivassaneTanguy De JansEmmanuelle Fuhrmann pour cette aventure !!) pour développer les premières agences en ligne et les premiers services en ligne (paiement en ligne, outils d'autogestion convergents, flexibles et évolutifs) de ma boîte (2001).

Très rapidement Catherine m'a proposé de donner des cours pour témoigner de mon cas concret de transformation numérique et de transmettre aux étudiants les méthodologies et expertises requises. Et depuis 2003, je renouvelle chaque année ce défi d'enseigner des notions à des jeunes bien plus caler que moi en la matière. Mais, apparemment, je fais plus que simplement illusion, fort d'une solide expérience dans des domaines innovants plutôt variés q;-).

En 2009, la fusion des universités de Strasbourg en une université unique s'est traduite par l'abandon de cette formation pour l'EM Strasbourg et du coup, sous l'impulsion de Catherine, tous les profs ont inventé un mercato vers la Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion, qui nous a accueillis à bras ouvert pour accélérer sa propre transformation numérique..

"C'est toujours une formidable énergie positive et un vrai plaisir de retrouver de nouvelles têtes préformatées à déconstruire pour mieux les aider à devenir des visionnaires stratèges et opérationnels, et surtout pour les aider à s'accorder leur permis d'être soi-même" 


Et voilà. Et chaque année, c'est un vrai défi de me mettre à niveau, mais surtout de proposer un apprentissage repensé à l'ère de l'intelligence collective et collaborative chère à ces formidables générations Y et suivantes. Et chaque année, c'est toujours une formidable énergie positive et un vrai plaisir de retrouver de nouvelles têtes préformatées à déconstruire pour mieux les aider à devenir des visionnaires stratèges et opérationnels, et surtout pour les aider à s'accorder leur permis d'être soi-même (merci Daniel Jurquet, merci Adeline Schwander, merci Thierry Le Pesant !).

Du coup, depuis l'an dernier, ce blog me permet d'expliquer certaines de ces transformations que j'essaie d'activer.