vendredi 31 mars 2017

Le facteur humain dans l'usine du futur (14)

Résumé des épisodes précédents. Depuis janvier 2016, j'ai chroniqué la vie d'une communauté d'industriels réfléchissant sur le facteur humain dans l'usine du futur. 

C'est chez Wolfberger à Colmar que les membres du groupe de travail sur le facteur humain dans l'industrie du futur se sont retrouvés fin mars pour une session-bilan où il a été beaucoup question de management des connaissances et de communauté de pratique.


Voilà plus d'un an que les participants se rencontrent mensuellement et l'heure est au bilan. Pour l'occasion, les participants ont demandé à Marcellin Grandjean de venir les aider à préciser les prochains enjeux et identifier les pistes d'améliorations. Marcellin est l'un des deux coaches qui, avec Florence Rémy, avait accompagné les débuts de cette communauté apprenante lors des quatre premières sessions de travail.

Le début de séance se déroule debout, le groupe entourant des images posées au sol. Chacun sélectionne une image représentative de son état d’esprit du moment et la commente. Le sentiment général confirme que cette session était attendue par chaque participant.

La séquence-bilan proposée par Marcellin est construite à partir de la roue du projet, le support sur lequel chaque membre du groupe avait exprimé ses attentes dès la seconde session de travail.

L’exercice se déroule en mode interview, en binôme, et chacun décrit sa perception du niveau de réalisation du projet, les satisfactions éprouvées et ce qui a moins bien marché. Marcellin remet ensuite à chacun une fiche qui reprend le thème exprimé il y a un an.

Les restitutions des différents binômes mettent en avant les bonnes pratiques et les points d'amélioration du groupe de travail. Trois remarques reviennent fréquemment :
  • la satisfaction d’avoir eu des échanges ouverts et riches au sein du groupe de travail,
  • la difficulté à trouver du temps pour faire avancer les sujets entre les rencontres,
  • la nécessité de formaliser les résultats obtenus.
La démarche se poursuit en sous-groupes, pour formaliser, à l’aide de post-it, des éléments de réponses à différentes questions.
  • Quelles seront nos victoires dans 1 an ?
  • Que faut-il garder ?
  • Que faut-il jeter ?
  • Quel résultat faut-il amplifier ?
  • Que faut-il réduire ?
  • Que reste-t-il à créer ?
A partir des restitutions de chaque groupe, deux feuilles de route sont élaborées : Amplifier ; Créer. 

Amplifier
  • Développer les travaux en sous-groupes et les chantiers ponctuels pour expérimenter des thématiques à restituer lors de la rencontre mensuelle. Notion de sous-groupes référents, identification de l'expert externe.
  • Se re-questionner sur des thèmes avec l'aide d'un expert en animation pour redynamiser le groupe.
Créer
  • Travailler en sous-groupes.
  • Faire appel à des expertises externes.
  • Identifier, tester, sélectionner et faire vivre une plateforme d'échange. Cette plateforme peut être utilisée pour un appel à l'aide pour traiter une question (forum, LinkedIn)

Le pilotage des communautés de pratique : cadrage et enjeux 

Lors de la session précédente, les membres du groupe de travail avait souhaité que cette session-bilan soit aussi l'occasion d'entendre la perception de Jean-Philippe Bootz, expert en communautés de pratique. En imaginant la création de ce groupe de travail, EDF avait en effet proposé à la Chambre de Commerce et d'Industrie de rencontrer Jean-Philippe pour l'intégrer en immersion au sein me^me de cette future communauté apprenante. Enseignant-chercheur à EM Business School, Jean-Philippe est également responsable de la chaire Management des connaissances, une chaire justement soutenue par EDF et ÉS.

Dans l'amphithéâtre, Jean-Philippe reprend une présentation qu'il a faite devant des décideurs de grands groupes français. Le management des connaissances et les communautés de pratiques sont en effet des thématiques qui impulsent aujourd'hui de nouvelles dynamiques au sein des entreprises. 

"On peut distinguer 3 périodes d'évolution des économies contemporaines capitalistes", explique Jean-Philippe.


  • 1950 : économie de production de masse, prix, coûts -> : Taylorisme
  • 1975 : crise, l'offre s'ajuste à la demande, économie de la qualité -> Toyota
  • 1990 : économie de la connaissance .La demande est très inférieure à l'offre, très volatile -> Introduire de la nouveauté => Innovation indispensable, toutes les entreprises, tous secteurs.
"La connaissance est un actif précieux pour l’entreprise. C’est pourquoi apparaît un management des connaissances. La création de connaissance passe par la créativité et l’exploration. La diffusion permet un partage des connaissances dans l'entreprise. La capitalisation se fait grâce aux retours d'expériences. Les communautés sont ainsi des structures sociales particulièrement agiles dans ce contexte."

L'enseignant-chercheur prend l'exemple d'une des premières communautés auto-apprenante. Cela concernait des réparateurs de photocopieurs Xerox qui, à partir d'un guide d'utilisation qui était un outil individuel, ont développé une véritable plateforme communautaire constituée de leurs moments de rencontre entre dépanneurs pour partager et échanger leurs trucs et astuces, devenus des réunions informelles et régulières, le tout formant un stock de compétences très concrètes. Tous ces outils leur ont ainsi permis de devenir de meilleurs réparateurs, touten s'appuyant sur une auto-organisation ignorée par leurs managers qui n'avaient aucunement connaissance de ces rencontres.

Une communauté peut ainsi être caractérisée en quatre points :
  • un regroupement de personnes engagées dans la même activité,
  • une volonté d’amélioration continue,
  • un développement des compétences de ses membres,
  • une auto-organisation qui peut dépasser les frontières de l'organisation de l’entreprise (ouverture sur l'extérieur).

De la communauté de pratique au transfert de connaissances 

Reprenant les travaux de Lave et Wenger (1991), Jean-Philppe Bootz explique comment se transmet la connaissance par étape au sein d'une communauté de pratique. "Au travers d’un apprentissage autour d'une activité, le nouveau venu s'engage dans une communauté de pratique, commence par apprendre des choses simples, en demandant conseil au membre le plus abordable, souvent le plus proche de son propre niveau. Progressivement, on s'approprie des tâches de plus en plus complexes ( c'est l'acculturation - pour atteindre le niveau d'expert. Le moteur consiste à pouvoir accéder aux connaissances capitalisées par la communauté de pratique (CoP)."

Plusieurs exigences s'imposent :
  • apporter ses propres expériences, ne pas parasiter le système,
  • l'entraide,
  • la confiance,
  • l'engagement mutuel,
  • la résolution collective de problèmes.

Piloter les communautés de pratique: un défi 

"Une communauté de pratique n'est pas un monde idéal, insiste Jean-Philippe. Et vouloir piloter une communauté de pratique relève quasiment d’un non-sens. Le problème à surmonter est de "stimuler sans étouffer" les activités de la communauté.Cette forme de "soutien non intrusif" suppose d’aller à l’encontre de la culture managériale classique. Le pilotage des communautés de pratique représente pourtant aujourd'hui un phénomène en plein essor, comme par exemple chez Schlumberger, IBM, Siemens, Ubisoft, ..."

De nombreux enjeux pour l'entreprise et les communautés de pratique

  • Comment piloter ces communautés et concilier auto-organisation et contrôle ?
  • Quels types de missions peuvent remplir ces communautés ?
  • Qui peut les piloter ?
  • Quels rôles pour les RH ?
Il existe en fait plusieurs types de communautés de pratique pilotée (CoPP) : la CoPP opérationnelle d'exploitation, la CoPP stratégique d'exploration

La CoP Pilotée (CoPP)
  • Il faut un sponsor: un représentant du directoire -> contrôle, éviter les dérives contre productives
  • Il faut un manager coordinateur -> auto-organisation, âme de la communauté
La CoPP opérationnelle d'exploitation
  • Amélioration continue avec des praticiens : formaliser et codifier les bonnes pratiques, animation par un expert du groupe, financé par le sponsor
La CoPP stratégique d'exploration
  • Exploration de connaissances, innovations de rupture: dimension stratégique
  • Sponsor important: déplacement, réunions
  • Manager: intrapreneur (entrepreneur à l'intérieur de l'organisation), à contrecourant de la culture dominante, pas un expert du sujet
On assiste aussi  un phénomène d'ambidextrie. Certaines CoPP peuvent en effet basculer entre les deux modes de fonctionnement selon l'avancement du groupe de travail, voire combiner les deux simultanément.

Dans ce cas, pilotés à la fois par un expert et un intrapreneur.


De fait, la question des communauté de pratique questionne les RH des entreprises.

  • Comment adapter des outils-dispositifs RH aux nouveaux profils de managers (expert-intrapreneur) ?
  • Quel positionnement de la GRH vis-à-vis du pilotage de communautés ?
  • Le DRH devient-il un manager de connaissances ?

Communauté de pratique et perspectives de recherche

Après cette présentation très pédagogique, les membres de la communauté du facteur humain se repose la question : Comment parvenir à une forme d'auto-organisation ?

Un constat s'impose pour les participants : hormis nos chroniques publiées sur le site EDF Alsace, l'évolution des travaux de notre groupe de travail n'est pas suffisamment documentée.

Alors comment instaurer un pilotage accepté par notre communauté de pratique ? Pour Jean-Philippe, "il faut comprendre la culture de la communauté et son mode de langage."

En résumé :
  • La CoP ne s'impose pas partout ni systématiquement.
  • La CoP ne produit rien, elle assure le transfert des connaissances.
  • Il faut une structure traditionnelle pour produire les biens commercialisés.
  • La CoP peut naître à partir du moment où des connaissances et des expériences sont à partager par un groupe de personnes.

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