vendredi 14 octobre 2016

Le facteur humain dans l'usine du futur (9)

Résumé des épisodes précédents. Depuis janvier 2016, j'ai chroniqué la vie d'une communauté d'industriels réfléchissant sur le facteur humain dans l'usine du futur.

Rendez-vous à la Chambre de Commerce et d'Industrie de Colmar pour cette neuvième session de travail.

En ce 14 octobre 2016, la météo des participants est toujours au beau fixe. En résumé, tous sont à la bourre mais toujours heureux de se retrouver pour travailler sur cette question du facteur humain. D’autant plus que ce thème reste le parent pauvre du sujet tendance de l‘usine du futur.

Le groupe accueille le retour de SEW Usocome, et c’est Philippe Klein, Manager du pôle innovation et Lean Manager, qui intègre le groupe de travail. Arrivé en 1989 dans l’entreprise, il a participé depuis l’origine à la construction du projet Perfambiance qui a contribué à faire de SEW la vitrine française de l’usine du futur. "En 1998, j’ai eu la chance de participer activement à la mise en place et au déploiement de la démarche Lean, partie intégrante de Perfambiance, au même titre que le référentiel de management. Je gère l’animation du système de production pour les 3 usines françaises de SEW Usocome, son déploiement et les formations relatives. Je gère aussi la l’innovation-processus, qui est le prolongement de nos chantiers d’amélioration et nous permet de concevoir et réaliser de nouveaux processus pour améliorer notre fonctionnement. C’est le processus qui définit les moyens, et pas le contraire. C’est l’association des parties prenantes qui permet d’obtenir des résultats pérennes."

Comment est-on passé à l’entreprise qui libère les énergies ?


"Il faut comprendre que l’acte de produire est un flux financier au quotidien, explique Philippe. Toutes les fonctions supports sont là pour aider à l’acte de produire. Deux types de fonctions supports sont à distinguer : les fonctions supports qui travaillent sur la production quotidienne, comme la maintenance ; et celles qui sont dans la préparation de l’avenir. Du coup, nous sommes organisés par mini-usine, chacune gérant un flux de production continu. Sur l’ensemble des sites, nous avons aujourd’hui une trentaine de mini-usines. Pour chacune, un manager de mini-usine (MMU) gère une organisation horizontale de 30 à 50 personnes et fait appel à des fonctions supports usine ou centrale pour l’aider à progresser. Chaque MMU, dont l’objectif est la satisfaction de son client, a une forme de compte d’exploitation qui lui donne un degré d’autonomie d’animation de ses équipes entre les inputs (les coûts) et les outputs (valeur ajoutée générée). Le management de chaque MMU est régulièrement audité."
La session du groupe de travail est ensuite consacrée à un point d’avancement des sous-groupes de travail organisés en ateliers.


Atelier "Entrer dans la démarche"


Le sous-groupe s’est réuni chez Liebherr et a affiné les étapes constatées pour entrer dans la démarche, ainsi que les arguments et points d’attention. Les autres membres du groupe de travail interviennent et soulignent qu’il serait intéressant de pouvoir décrire aussi un processus pour les plus petites entreprises, de moins de 50 personnes. Bernard Bloch, EDF, les rassurent en leur expliquant que c’est prévu et qu’une rencontre est notamment en cours d’organisation chez Divalto, une entreprise de service qui est un acteur majeur de la French Tech Alsace et qui s’est récemment réorganiser en favorisant la transversalité interne et l’open innovation avec ses partenaires.

Jean-Philippe Bootz est responsable de la chaire Management des connaissances, qu’il anime au sein de l’École de management de Strasbourg. Il est également l’un des experts reconnus de l’étude des communautés de pratiques. C’est à ce titre qu’il a été invité à participer à ce groupe de travail sur le facteur humain. Passé d’observateur à membre à part entière du groupe de travail, il apporte un éclairage d’enseignant-chercheur qui favorise l’autogestion du groupe. "Comment je crée une structure pilotée au départ ? Puis comment j’introduis de l’autonomie pour que la communauté continue de vivre et de développer son auto-fonctionnement sur les projets ? L’approche de ce groupe de travail initié par la CCI Alsace est unique en France. Et la question intéresse bigrement les PME-PMI qui sont elles aussi confrontées à cette recherche d’information."


Atelier "La libération de nos entreprises"


Point-étape sur les expérimentations en cours de développement.

Expérimentation chez Liebherr

Des contacts ont été pris avec Alsace Tech, le réseau des grandes écoles d’ingénieurs et de management d’Alsace, pour mieux cerner les outils de formation continue existant dans le bassin alsacien pour favoriser la culture et les expertises vers l’usine du futur. Dans l’usine de Colmar, les réflexions avancent pour mobiliser l’ensemble des salariés. "A quelque niveau que ce soit, on veut procéder par étape pour que tous les salariés puissent avancer à un rythme plus court-termisme avec des succès et des retours d’expérience", explique Franck Keiffer, responsable RH.

Expérimentation chez N.Schlumberger

Mathieu Rollet, Directeur industriel du site de Guebwiller, précise les avancées depuis la dernière session organisée dans son usine. "On a défini 30 groupes de travail transversaux et on veut que chaque salarié participe au moins à un groupe de travail. Chaque groupe réfléchit à des objectifs permettant de résoudre des sujets irritants ou d’apporter des points d’amélioration. Dans chaque groupe, un directeur sponsor apporte son expertise. Aujourd’hui, on constate que les groupes s’imbriquent de mieux en mieux. Maintenant, comment pérenniser cette démarche et la faire perdurer demain ? Comment on sort de la carotte de la prime pour continuer à avancer ?"

Retour sur la genèse de Perfambiance chez SEW Usocome

Répondant à une question, Philippe Klein en profite pour expliquer aux participants la genèse de l’action menée au sein de son entreprise. "En 1989, SEW Usocome était une entreprise délabrée avec beaucoup d’accidents de travail. Comment diagnostiquer le mal tout en touchant les hommes de l’entreprise ? On a fait faire un film qui montrait l’étendue du problème. Très vite est venue la notion de performance ET d’ambiance. On a démarré en se disant que personne n’était contre le principe d’améliorer sa propre sécurité au travail. On a donné une formation aux équipes leur permettant de s’auto-améliorer sur ces questions de sécurité. Tout de suite après, on a mis un premier chantier en place pour déployer sur le terrain la théorie apprise en formation. On a tout de suite reçu un Trophée de la Caisse régionale d’assurance-maladie (CRAM) qui a permis aux équipes d’être reconnues pour leurs réalisations et qui les a encore davantage motivées. Bien entendu, nous avons également fêté les succès. Il faut arriver à toucher les collaborateurs avec du sens et un thème bien précis et, à l’époque, la sécurité était un sujet tout désigné. Après l’axe ambiance, il a bien fallu également lancer l’axe performance pour cela on a réuni tous les salariés pendant 4h et par sous-groupe pour expliquer les orientations futures souhaitées. Les échanges ont permis de lever les craintes des collaborateurs mais aussi d’affiner le projet Perfambiance. En sortie, nous avons lancé la démarche Perfambiance en partant du principe qu’on ne peut pas avoir une performance pérenne s’il n’y a pas de bonne ambiance. On a avancé par thématique. On n’a pas réfléchi à comment devenir une entreprise libérée mais le bonheur au travail était toujours un objectif. On a libéré les énergies de nos collaborateurs par l’autonomie dans un cadre donné, le reste s’est fait naturellement."

Revenant sur la préoccupation de Mathieu, Philippe précise qu’un en 1995, SEW a eu envie de favoriser la transversalité des processus et de dynamiser la prise de conscience collective. "Notre crédo : ce sont les processus qui amènent au résultat et pas le contraire. Et d’entrée de jeu, on a fait tomber les primes de production. En fait, elle a été intégrée pour tout le monde. Nous avons toujours fêté les succès."

Franck et Bernard surenchérissent en expliquant que dans les entreprises visitées à présent par Wolferberger, Liebherr et EDF, "on constate que la dynamique est effectivement portée par des formes de reconnaissance et de valorisation qui ne sont pas financières, mais plutôt de l’ordre de l’implication des salariés dans la proposition d’améliorations et la co-conception de leurs mises en œuvres."


Et l’open innovation ?


L’amélioration continue des processus transverse est clairement le premier pas d’une forme d’open innovation menée en interne. D’ailleurs, parmi les entreprises participant au groupe de travail, plusieurs ont avancé sur l’open innovation. Le groupe convient qu’un atelier Open Innovation visant à recueillir et synthétiser les exemples rencontrés serait intéressant à lancer. Etienne Wathle, Directeur d’Alpaci, se propose de l’animer et d’interviewer les participants sur ce qu’ils ont mis en œuvre.

Dans la même concertation, les participants proposent de lancer un atelier Qualité de vie au travail et Process. Mireille Hahnschutz et Philippe Klein se proposent de les animer respectivement, en recueillant les avancées des autres entreprises présentes.


Atelier "Valorisation des travaux"


L’une des questions que se pose les membres de ce groupe de travail sur le Facteur humain dans l’usine du futur, concerne le calendrier d’après mars. Seront-ils toujours mobilisés et mobilisables ? S’estiment-ils légitimes pour répondre à des demandes d’informations d’autres entreprises alsaciennes ? Déjà, pour repositionner l’humain au centre de l’entreprise, chaque entreprise a son propre fonctionnement. Du coup, comment proposer aux entreprises de pouvoir faire appel aux travaux du groupe de réflexion pour trouver des clés pour entrer dans la démarche ?

Un autre aspect, déjà abordé lors de la session précédente, concerne la folie économique et médiatique entourant les notions « usine du futur » et « entreprise libérée ». Comme le souligne Mathieu Rollet, "il faudra absolument démythifier l’usine du futur et faire preuve de beaucoup de pédagogie."

Les membres du groupe de travail se sont ainsi mis d’accord pour ne pas organiser de gros événement en mars mais de proposer plutôt une suite de manifestations s’étalant dans la durée, en privilégiant les témoignages des participants dans le cadre de différents événements organisés en Alsace. Un premier rendez-vous fixé en mars 2017 est en cours d’organisation

En fin de session, Philippe Klein a précisé ce qu’il venait chercher dans ce groupe de travail. "L’expérience d’entreprise libérée chez SEW Usocome ne pourra pas perdurer en l’absence d’un leader authentique, qui crée un environnement permettant à chacun de trouver sa motivation en lui-même sans qu’il soit besoin de violenter son for interne. L’entreprise libérée favorise une forme de leadership au service des équipes, et non pas un modèle de management qui viserait à contrôler les ressources de temps, de qualité ou d’argent. Elle n’est possible que par la présence de femmes et d’hommes dans toute l’entreprise qui prennent des responsabilités, qui engagent des projets, qui décident librement… Des femmes et des hommes que l’on a envie de suivre et avec lesquels on a envie d’agir. Ce n’est plus d’amélioration continue ou de conduite du changement dont il s’agit, mais d’une philosophie de vie et d’une aventure humaine. De ce fait je ne peux pas imaginer mettre par terre 20 ans de boulot. Je suis venu ici chercher des concepts nouveaux et de l’inspiration avec des personnes qui partagent les mêmes questionnements, et avec d’autres qui sont novices et qui se lancent afin de donner un futur pérenne à notre démarche."
Un défi que continueront de relever les membres de ce groupe de travail. La prochaine session aura lieu en novembre chez Liebherr France, à Colmar.


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