L’un des plaisirs de ma vie est de pénétrer dans une librairie. Une vraie. Pas une Maison de la presse ou une papeterie de banlieue. Non. Une vraie. Ouverte un jour par un amoureux de littérature. Un enfant devenu adulte qui aura grandi en prenant plaisir à lire et à partager ses lectures avec quelque ami.
Un jour, je ne sais très bien ni où ni quand, je discutais avec un homme qui connaissait le patron de la librairie Quai des Brumes qui était alors située Quai des Pêcheurs ou pas loin de là. Il m’expliquait que l’un de ses plaisirs était d’entrer dans cette librairie en hélant les chalands avec cette phrase magique : ‘’Bonjour Libraire ! "
J’avais trouvé ça excellent. Qui d’autre interpelle-t-on de la sorte ? Un boulanger ? Un boucher ? Un prof ? Un menuisier ? Non, je ne vois qu’un docteur ou un avocat. Bonjour Docteur ! Bonjour Maître ! Un salut énoncé avec le respect d’un titre mais surtout de quelqu’un qui va s’occuper de nous.
Bonjour Libraire ! Bonjour ô Vous qui allez vous occuper de moi. De mon être. De mon âme. De mon bien le plus précieux : mon bien-être.
Bonjour Libraire ! Je ne vais plus Quai des Brumes, je vais à la Librairie du Neudorf le plus souvent. Ça date du temps où j’habitais à 100 mètres de là, Rue d’Erstein. Un jour, je me promène et passe devant la librairie que je pensais être une papeterie vendant quelques bouquins. Et je vois sa vitrine. Et c’est une vraie librairie. Alors j’y entre discrètement. J’erre parmi les rayons. Je hume l’ambiance et m’imprègne de ce nouveau lieu découvert ce matin-là. Ce nouveau havre de paix sis à quelques pas de chez moi. Un boucher, un boulanger, un Prisunic et une vraie librairie. De ce jour, je savais que ma vie neudorfoise serait douce et heureuse. Et ce fut le cas. Et quelques semaines et deux-trois cartes de fidélité plus tard, lorsque j’entrais chez Monsieur Lipsker, j’éprouvais toujours une joie indicible en m’écriant : " Bonjour Libraire ! "
" Bonjour Libraire ! ", dit sur un ton enjoué, ça ne loupe jamais. Les autres clients me regardent bizarrement et sont certainement interpellés comme je le fus hier. Bonjour Libraire ! J'adore ça. Je sens Lipsker à la fois gêné, amusé et intérieurement fier d'être respecté et surtout reconnu pour ce qu'il sait avoir toujours voulu être : un Docteur ès bien-être.
Aujourd'hui, j'habite Ostwald et je prends plaisir à faire mes courses au marché d'Illkirch le samedi matin. Un jour, je passe en voiture Route de Lyon quand soudain, mon regard est attiré par une enseigne : L'Ill aux trésors. Et derrière l'éclairage jaune de la vitrine, je comprends très vite que les trésors en question sont des livres. L'Ill aux trésors, un bien doux nom pour une librairie. Aussitôt vus, aussitôt trésors furent découverts. Cette librairie n'a pas encore pour moi le même charme que celle du Neudorf ou du Quai des Brumes (désormais sis Grand Rue), mais je m'en imprègne lentement mais sûrement. Je n'y ai usé qu'une seule carte de fidélité mais nul doute que bientôt j'y entrerai en m'écriant " Bonjour Libraire ! " Car lui aussi est un passionné. Et parfois, il invite des écrivains pour des séances de dédicace. La dernière invitée, c'était Fatou Diom. Je n'ai pas lu ses livres, j'en ai juste entendu parler et lu quelques articles à son sujet. Du coup, depuis, j'ai appris qu'elle habitait Strasbourg depuis plus de dix ans.
Bravo à Vous, Messieurs les Libraires, car vous n'êtes pas nombreux en banlieue et en ville. Quai des Brumes à Strasbourg, Neudorf, Illkirch et un à Cronenbourg. Et c'est tout pour 350 000 habitants. J'oublie volontairement la Fnac, Virgin, Kléber, Oberlin, Berger-Levrault, Alsatia. Mes libraires à moi sont des boutiquiers qui veulent vous faire partager leurs plaisirs et vous guider dans vos aventures littéraires solitaires. Des guides de haute lecture, en quelque sorte.
Certains rédigent des synopsis avec commentaires et appréciation, le tout attaché avec un trombone au dos de la couverture. Le livre est neuf mais c'est déjà comme quand vous allez aux puces et qu'en feuilletant un vieux Livre de poche, vous pouvez lire les passages soulignés et annotés par un ou plusieurs lecteurs jadis propriétaires de l'ouvrage.
D'autres libraires vous connaissent et, après vous avoir vu entrer dans leur antre, après vous avoir laissé déambuler parmi les livres (car ils savent que vous éprouvez le même plaisir qu'un touriste découvrant Rome ou qu'un jeune couple se promenant main dans la main sous un soleil matinal d'hiver un samedi au marché des Lices à Rennes ou un dimanche à celui de Wazemmes à Lille), après vous avoir laissé du temps pour vous, alors seulement ils se permettent de vous dire : " Tiens, j'ai lu ça et ça pourrait vous intéresser ", car vous discutez souvent ensemble et qu'ils connaissent vos goûts et vos achats. "Ça", c'est toujours intéressant mais rien ne vous oblige à l'acheter. Mais "ça", ça n'existe pas à la Fnac ou chez Auchan.
"Ça", pourtant, ça existe aujourd'hui sur amazone.fr, sur alapage.fr ou sur fnac.fr. Un jour, vous avez acheté en ligne un livre ou un disque et, depuis, vous êtes fiché et identifié. Et quand vous revenez sur le site Internet et que vous vous authentifiez, une page s'affiche et vous dit un truc du style :
" Bonjour Monsieur Bloch, la dernière fois que vous êtes venu sur notre site, vous avez acheté X. Saviez-vous que nos clients-internautes qui ont acheté X ont aussi acheté Y et Z ? " Non, je ne savais pas mais, comme je suis curieux, je clique sur Y puis sur Z. Ah oui, Z a l'air de me plaire, alors j'achète Z. Cela s'appelle le profiling (prononcer profaïlinegue). Ils enregistrent votre profil et vous font adhérer à votre insu à la tribu des "Amoureux de X, Y et Z" Je le sais mais ça ne m'embête pas car je trouve ça plutôt sympa. J'achète le café sur nespresso.fr et c'est pareil. Je fais partie du Club Nespresso. Et j'en suis assez fier. Une reconnaissance virtuelle qui me procure un petit plaisir bien réel.
Je le sais d'autant mieux que c'est mon métier. Je fais la même chose pour le compte d'Électricité de Strasbourg avec un accent sur le E pour dire É. " La dernière fois que vous êtes venu sur notre site, vous vous êtes renseigné sur le chauffage électrique. Saviez-vous que de nombreux utilisateurs de chauffage électrique ont souscrit à notre service Dépannage électricité, une garantie de dépannage en deux heures ? " Et oui, j'aime aussi dialoguer virtuellement avec des clients.
Quand j'entre chez mon libraire, je peux déambuler trois quarts d'heure entre les livres sans rien dire, juste en prenant mon pied égoïstement. Je lis les titres sur la tranche des livres, certains m'inspirent plus que d'autres. Les mots "été", "lac", "nuit", "Amérique", "route", "chemin", "balade", "motel", "Ouest" ou "Est", m'inspirent immédiatement. Et quand je ne trouve pas les mots qui me font tilt, alors je cherche les auteurs que j'ai aimé une fois et que j'ai dévoré ensuite : John Steinbeck, Alberto Vigevani, Pat Conroy, Sam Shepard, Chaïm Potok, Jerome Charyn, … Pas étonnant que des livres comme "A l'Est d'Eden", "Le prince des marées", "L'Ouest, le vrai" figurent en bonne place dans mon Top Lectures.
L'autre jour, une collègue que j'aime bien (qu'en fait je connais peu mais bien) m'a transmis une publicité indiquant la sortie du dernier Sam Shepard. On avait dû parler de Shepard il y a 15 ans. Et soudain, cette publicité. Le lendemain soir, je passe à la Librairie du Neudorf, mais non, ils ne l'ont pas encore. Le lendemain, hier, je suis à Rennes et j'entre dans deux librairies mais non, ils ne l'ont pas encore. Ni chez Virgin. Et puis une troisième librairie rennaise, non plus. Je leur demande de vérifier. " Si, Monsieur, nous venons de le recevoir. Il doit être sur la pile que nous n'avons pas encore eu le temps de mettre en présentoir. "
Je ressors fier et heureux. Véronique me voit transfiguré et doit me trouver un peu enfantin, mais elle connaît ma passion qu'elle ne jalouse pas et qui la gagne peu à peu en errant avec moi, mais dans d'autres rayons.
Cette nuit, je me suis couché à 4h30. Réveillé à 8h, je me suis levé dans le noir pour ne pas réveiller Véronique. Dans le noir, j'ai mis mes lunettes et tâtonné pour prendre mon livre. Je suis allé aux toilettes et, après avoir fermé la porte, j'ai allumé la lumière et j'ai lu trois autres nouvelles.
Au fait, ça s'appelle "A mi-chemin". C'est le dernier Sam Shepard. Publié chez Lafond.
Merci Marie-Christine pour cette publicité.
St Hilaire-du-Harcouët, le 9 janvier 2005.
J’avais trouvé ça excellent. Qui d’autre interpelle-t-on de la sorte ? Un boulanger ? Un boucher ? Un prof ? Un menuisier ? Non, je ne vois qu’un docteur ou un avocat. Bonjour Docteur ! Bonjour Maître ! Un salut énoncé avec le respect d’un titre mais surtout de quelqu’un qui va s’occuper de nous.
Bonjour Libraire ! Bonjour ô Vous qui allez vous occuper de moi. De mon être. De mon âme. De mon bien le plus précieux : mon bien-être.
Bonjour Libraire ! Je ne vais plus Quai des Brumes, je vais à la Librairie du Neudorf le plus souvent. Ça date du temps où j’habitais à 100 mètres de là, Rue d’Erstein. Un jour, je me promène et passe devant la librairie que je pensais être une papeterie vendant quelques bouquins. Et je vois sa vitrine. Et c’est une vraie librairie. Alors j’y entre discrètement. J’erre parmi les rayons. Je hume l’ambiance et m’imprègne de ce nouveau lieu découvert ce matin-là. Ce nouveau havre de paix sis à quelques pas de chez moi. Un boucher, un boulanger, un Prisunic et une vraie librairie. De ce jour, je savais que ma vie neudorfoise serait douce et heureuse. Et ce fut le cas. Et quelques semaines et deux-trois cartes de fidélité plus tard, lorsque j’entrais chez Monsieur Lipsker, j’éprouvais toujours une joie indicible en m’écriant : " Bonjour Libraire ! "
" Bonjour Libraire ! ", dit sur un ton enjoué, ça ne loupe jamais. Les autres clients me regardent bizarrement et sont certainement interpellés comme je le fus hier. Bonjour Libraire ! J'adore ça. Je sens Lipsker à la fois gêné, amusé et intérieurement fier d'être respecté et surtout reconnu pour ce qu'il sait avoir toujours voulu être : un Docteur ès bien-être.
Aujourd'hui, j'habite Ostwald et je prends plaisir à faire mes courses au marché d'Illkirch le samedi matin. Un jour, je passe en voiture Route de Lyon quand soudain, mon regard est attiré par une enseigne : L'Ill aux trésors. Et derrière l'éclairage jaune de la vitrine, je comprends très vite que les trésors en question sont des livres. L'Ill aux trésors, un bien doux nom pour une librairie. Aussitôt vus, aussitôt trésors furent découverts. Cette librairie n'a pas encore pour moi le même charme que celle du Neudorf ou du Quai des Brumes (désormais sis Grand Rue), mais je m'en imprègne lentement mais sûrement. Je n'y ai usé qu'une seule carte de fidélité mais nul doute que bientôt j'y entrerai en m'écriant " Bonjour Libraire ! " Car lui aussi est un passionné. Et parfois, il invite des écrivains pour des séances de dédicace. La dernière invitée, c'était Fatou Diom. Je n'ai pas lu ses livres, j'en ai juste entendu parler et lu quelques articles à son sujet. Du coup, depuis, j'ai appris qu'elle habitait Strasbourg depuis plus de dix ans.
Bravo à Vous, Messieurs les Libraires, car vous n'êtes pas nombreux en banlieue et en ville. Quai des Brumes à Strasbourg, Neudorf, Illkirch et un à Cronenbourg. Et c'est tout pour 350 000 habitants. J'oublie volontairement la Fnac, Virgin, Kléber, Oberlin, Berger-Levrault, Alsatia. Mes libraires à moi sont des boutiquiers qui veulent vous faire partager leurs plaisirs et vous guider dans vos aventures littéraires solitaires. Des guides de haute lecture, en quelque sorte.
Certains rédigent des synopsis avec commentaires et appréciation, le tout attaché avec un trombone au dos de la couverture. Le livre est neuf mais c'est déjà comme quand vous allez aux puces et qu'en feuilletant un vieux Livre de poche, vous pouvez lire les passages soulignés et annotés par un ou plusieurs lecteurs jadis propriétaires de l'ouvrage.
D'autres libraires vous connaissent et, après vous avoir vu entrer dans leur antre, après vous avoir laissé déambuler parmi les livres (car ils savent que vous éprouvez le même plaisir qu'un touriste découvrant Rome ou qu'un jeune couple se promenant main dans la main sous un soleil matinal d'hiver un samedi au marché des Lices à Rennes ou un dimanche à celui de Wazemmes à Lille), après vous avoir laissé du temps pour vous, alors seulement ils se permettent de vous dire : " Tiens, j'ai lu ça et ça pourrait vous intéresser ", car vous discutez souvent ensemble et qu'ils connaissent vos goûts et vos achats. "Ça", c'est toujours intéressant mais rien ne vous oblige à l'acheter. Mais "ça", ça n'existe pas à la Fnac ou chez Auchan.
"Ça", pourtant, ça existe aujourd'hui sur amazone.fr, sur alapage.fr ou sur fnac.fr. Un jour, vous avez acheté en ligne un livre ou un disque et, depuis, vous êtes fiché et identifié. Et quand vous revenez sur le site Internet et que vous vous authentifiez, une page s'affiche et vous dit un truc du style :
" Bonjour Monsieur Bloch, la dernière fois que vous êtes venu sur notre site, vous avez acheté X. Saviez-vous que nos clients-internautes qui ont acheté X ont aussi acheté Y et Z ? " Non, je ne savais pas mais, comme je suis curieux, je clique sur Y puis sur Z. Ah oui, Z a l'air de me plaire, alors j'achète Z. Cela s'appelle le profiling (prononcer profaïlinegue). Ils enregistrent votre profil et vous font adhérer à votre insu à la tribu des "Amoureux de X, Y et Z" Je le sais mais ça ne m'embête pas car je trouve ça plutôt sympa. J'achète le café sur nespresso.fr et c'est pareil. Je fais partie du Club Nespresso. Et j'en suis assez fier. Une reconnaissance virtuelle qui me procure un petit plaisir bien réel.
Je le sais d'autant mieux que c'est mon métier. Je fais la même chose pour le compte d'Électricité de Strasbourg avec un accent sur le E pour dire É. " La dernière fois que vous êtes venu sur notre site, vous vous êtes renseigné sur le chauffage électrique. Saviez-vous que de nombreux utilisateurs de chauffage électrique ont souscrit à notre service Dépannage électricité, une garantie de dépannage en deux heures ? " Et oui, j'aime aussi dialoguer virtuellement avec des clients.
Quand j'entre chez mon libraire, je peux déambuler trois quarts d'heure entre les livres sans rien dire, juste en prenant mon pied égoïstement. Je lis les titres sur la tranche des livres, certains m'inspirent plus que d'autres. Les mots "été", "lac", "nuit", "Amérique", "route", "chemin", "balade", "motel", "Ouest" ou "Est", m'inspirent immédiatement. Et quand je ne trouve pas les mots qui me font tilt, alors je cherche les auteurs que j'ai aimé une fois et que j'ai dévoré ensuite : John Steinbeck, Alberto Vigevani, Pat Conroy, Sam Shepard, Chaïm Potok, Jerome Charyn, … Pas étonnant que des livres comme "A l'Est d'Eden", "Le prince des marées", "L'Ouest, le vrai" figurent en bonne place dans mon Top Lectures.
L'autre jour, une collègue que j'aime bien (qu'en fait je connais peu mais bien) m'a transmis une publicité indiquant la sortie du dernier Sam Shepard. On avait dû parler de Shepard il y a 15 ans. Et soudain, cette publicité. Le lendemain soir, je passe à la Librairie du Neudorf, mais non, ils ne l'ont pas encore. Le lendemain, hier, je suis à Rennes et j'entre dans deux librairies mais non, ils ne l'ont pas encore. Ni chez Virgin. Et puis une troisième librairie rennaise, non plus. Je leur demande de vérifier. " Si, Monsieur, nous venons de le recevoir. Il doit être sur la pile que nous n'avons pas encore eu le temps de mettre en présentoir. "
Je ressors fier et heureux. Véronique me voit transfiguré et doit me trouver un peu enfantin, mais elle connaît ma passion qu'elle ne jalouse pas et qui la gagne peu à peu en errant avec moi, mais dans d'autres rayons.
Cette nuit, je me suis couché à 4h30. Réveillé à 8h, je me suis levé dans le noir pour ne pas réveiller Véronique. Dans le noir, j'ai mis mes lunettes et tâtonné pour prendre mon livre. Je suis allé aux toilettes et, après avoir fermé la porte, j'ai allumé la lumière et j'ai lu trois autres nouvelles.
Au fait, ça s'appelle "A mi-chemin". C'est le dernier Sam Shepard. Publié chez Lafond.
Merci Marie-Christine pour cette publicité.
St Hilaire-du-Harcouët, le 9 janvier 2005.
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