Seul à la table des Bons Crus d'Alsace, j'attends trois entraîneurs de mon club pour affiner l'organisation et les défis sportifs et éducatifs à relever pour la saison prochaine. Ils vont me voir avec un Perrier rondelle. Ils vont me demander si je suis au régime.
Comment leur dire que je viens de boire déjà deux Licorne en écrivant un poème en prose et cinq variations ?
Strasbourg, Aux bons crus d'Alsace, le 23 juillet 2009, 19h57.
Connecteur d'idées et d'humains engagés pour un monde meilleur Il paraît que je suis doté de certains super-pouvoirs en matière d'écriture, de transmission de savoirs, de management de projets, de marketing/communication et d'animation d'expériences collaboratives... Alors je chronique ici q;-)
jeudi 23 juillet 2009
Un poème en prose et cinq variations
Strasbourg, La Place, le 23 juillet 2009, 18h38.
Pour une fois, je commence par la fin. Évidemment, il va me falloir remonter un peu le temps pour vous raconter ce qui précède... l'instant où j'écris ces lignes, évidemment. En fait, je n'en ferais rien car je voulais simplement savoir si, en commençant par la fin, l'inspiration me viendrait également. Voire autrement. Et bien Désolé, chère lectrice, ou cher lecteur. Pour la forme, je finirais quand même par le titre.
Un poème en prose et cinq variations
Variation numéro 1. Ou presque.
Strasbourg, La Place, le 23 juillet 2009, 18h47.Pour une fois, je commence par la fin. Évidemment, je vais devoir remonter un peu le temps pour vous raconter ce qui précède. Enfin, ce qui précède l'instant où j'écris ces lignes, évidemment. En fait, pas du tout. Je voulais simplement voir si, en commençant par la fin, l'inspiration me viendrait également. Voire autrement. Et bien nada. Rien. Pas une idée originale. Quoique.
Variation numéro 2. Ou presque.
Strasbourg, La Place, le 23 juillet 2009, 18h53.Pour une fois, je commence par la fin. Évidemment, je vais devoir remonter un peu le temps pour raconter ce qui m''est arrivé avant. Il était 18h37 quand je me suis assis à la terrasse de La Place, un resto branchouillard de la Place des Drapiers. Je m'étais dis en gros "Un troquet, une dose d'alcool, une idée". Mais une fois assis devant une Licorne, nada. Rien. Pas une idée originale. Je me suis dis alors Commence par la fin. Alors, j'ai commencé par écrire le lieu, la date et l'heure, comme je conclus habituellement. Et puis, j'ai voulu voir si, en commençant par la fin, l'inspiration me viendrait également. Voire autrement. Et bien nada. Rien. Pas une idée originale. Quoique.
Variation numéro 3. Ou presque.
Strasbourg, La Place, le 23 juillet 2009, 19h03.Pour une fois, je commence par la fin. Évidemment, je vais devoir remonter un peu le temps pour raconter ce qui m''est arrivé avant. Il était 18h37 quand je me suis assis à la terrasse de La Place, un resto branchouillard de la Place des Drapiers. Je m'étais dis en gros "je vais écrire en sirotant une bonne Leffe. Mais une fois assis devant une Licorne, nada. Rien. Pas une idée originale. J'ai eu beau commencé par la fin, je n'avais pas vraiment d'inspiration. Alors, j'ai brodé autour de cette réalité. Mais ce n'était pas une idée originale. Quoique.
Variation numéro 4. Ou presque.
Strasbourg, La Place, le 23 juillet 2009, 19h09.Il bruine un peu par intermittence et je me suis donc déplacé de cinq mètres, sous le store. C'était déjà le cas pour la Variation précédente, mais ce n'était pas le sujet. Quoique.
Variation numéro 5. Ou presque.
Strasbourg, La Place, le 23 juillet 2009, 19h15.Je suis assis à la terrasse de La Place, un resto branchouillard de la Place des Drapiers. Je m'suis dit "Un troquet, une idée". J'ai mis du temps avant de me rendre compte que le temps jouait en ma faveur. Après quelques variations sur le même thème - mais tout le monde ne s'appelle pas Raymond Queneau - j'ai fini par retrouver mon rythme et mon inspiration d'observateur du temps qui passe. Ma séance de shiatsu aura mis exactement 43 minutes pour ramener mon stress à un état de créativité acceptable. J'étais donc assis à une terrasse et, l'air de rien, tout en écrivant, je captais des bribes de sens. Deux jeunes bourges d'une vingtaine d'années s'asseyant à la table devant moi, vêtues BCBG. Elles commandent ce que j'imagine être deux jus de fruits pressés. Je continue à écrire puis je vois le serveur déposer sur leur table un Monaco et un verre de vin blanc.
Je replonge dans mon PDA et j'entends une conversation. La serveuse parle anglais, des femmes parlent anglais puis une autre langue, arabe me semble-t-il. Je lève les yeux, une femme voilée et quatre jeunes filles, dont l'une voilée également. Je continue mes variations. A l'instant je fais un tour d'horizon. Les bourges s'en vont, à vélo (normal, on est à Strasbourg), les deux amoureux se sont rapprochés, je regarde derrière moi, trois filles de vingt ans, une rousse, une blonde et une brune qui croise mon regard, de très beaux yeux, un sourire, mais bon, je suis assis tout seul à la table d'un restaurant sous un store, j'ai vingt ans de plus qu'elles, des cheveux gris, un PDA en mains, elles doivent me prendre pour un vieux qui, même à 19h35, continue de bosser. Quoique.
Strasbourg, La Place, le 23 juillet 2009, 19h40.
samedi 11 juillet 2009
ADN
Je devais avoir une vingtaine d'années à l'époque. Je suivais alors des études pour devenir publicitaire. Un ami d'enfance que j'avais croisé m'avait dit qu'il animait une émission de reggae sur une radio libre. Je l'avais suivi pour assister à l'une d'entre elles et dix jours plus tard, après quelques rencontres et autant de poignées de mains, je commençais ma carrière d'animateur radio. En fait, j'étais comme mes nouveaux collègues à la fois producteur, technicien, journaliste et animateur. Co-animateur en vérité, car j'avais emmené dans cette aventure Marie-Lo, une amie à la voix envoutante, genre voix d'aéroport, une voix désirable, capable d'adoucir les nuits sans sommeil de nos auditeurs.
Mon émission s'appelait "Un homme, une femme" et notre générique - non, ce n'était pas "Chabadabada" ! - était une interprétation jazzy de "La non-demande en mariage" de Georges Brassens, interprétée par Marcel Dadi. Pendant deux heures, de 20h à 22h, nous passions de la chanson francophone. Je passais mes journées de semaine à courir à la médiathèque choisir et emprunter six 33 tours (on ne pouvait en prendre davantage à la fois), j'enregistrais les morceaux que je souhaitais diffuser, je retournais deux heures après les échanger contre six autres et rebelote ainsi cinq jours par semaine, j'écrivais ensuite mon programme de deux heures sur une feuille pour, le dimanche, mixer en direct live mes enchaînements en les commentant avec Marie-Lo.
Nous arrivions dans le studio le dimanche vers 19h30 pour nous imprégner de l'ambiance en écoutant la fin d'une émission qu'un passionné consacrait au cinéma. Au mois de mai, il partait au Festival de Cannes et ramenait une valise d'étoiles et de sons - paroles et musiques, interviews d'acteurs et de techniciens - qu'il reprenait ensuite par extraits dans ses émissions. De ce cinéphile amateur éclairé qui partageait sa passion avec ses auditeurs, avec qui nous parlions un peu d'actus cinématographiques, je ne connaissais que le prénom, L. Il était un véritable militant du cinéma, un lecteur certainement assidu des Cahiers et un pourfendeur tout aussi certainement assidu de Première. Il devait avoir cinq à dix ans de plus que moi, cheveux courts, sérieux, cérébral. Collant parfaitement à son émission. C'était aussi l'époque du Cinéma de minuit sur Antenne 2 le vendredi soir, de Ciné Cinéma sur FR3 le dimanche soir.
Mon vie radiophonique dura deux ans, puis la radio libre devint une radio commerciale avec ses animateurs salariés, ses play-lists contractuelles et ses publicités payantes. Les trois derniers bénévoles, dont je faisais partie, choisirent une autre voie.
Cinq ans plus tard, je bossais dans la pub. J'avais vingt-cinq ans et j'avais briefé des agences pour une campagne visant à promouvoir des offres d'accès à Internet. Lors de leurs présentations, quelle ne fut pas ma surprise de reconnaître L. sous les traits du directeur artistique de l'une des agences. Egal à lui-même, passionné, professionnel, convaincu. Chaque fois que je le croisais, les mêmes émotions nous ramenaient dans nos années radio et les sourires que nous échangions étaient quelque peu nostalgiques. Les années passaient.
Je devais avoir près de trente cinq ans quand je fus invité au mariage de l'ex de ma femme. Nous les rencontrions assez souvent mais je ne connaissais pas vraiment leurs amis. J'y allais donc en traînant un peu les pieds. Alors que nous entrions dans une grande salle, je repérai quasi-instantanément L. parmi les invités présents. Surprise, étonnement, satisfaction et plaisir de le revoir en dehors du business. L. était en fait le cousin de la mariée. Le reste de la soirée fut la première vraie et belle occasion de nous connaître un peu mieux. Et autrement.
Je devais avoir la quarantaine quand nous fûmes invités à l'anniversaire de très bons amis. Assurés de passer une très bonne soirée, nous savions que nous allions retrouver cette bande d'hallucinés hétéroclites que nous croisions ici plusieurs fois par an. Alors que je buvais, dansais et fumais, j'aperçus L. et son épouse, esseulés dans un coin. J'appris par la suite que son épouse était une copine de nos hôtes. Je me rapprochais pour le saluer et finis la soirée en discutant longuement avec lui.
J'avais eu 44 ans et je venais d'être élu président de mon club de foot. En juin, alors que je venais voir les matches de jeunes un samedi après-midi, quelle ne fut ma surprise de voir L. boire tranquillement un café sur la terrasse de notre club-house. Après discussion, il m'expliqua que son fils avait commencé le foot depuis peu. Quand je lui demandais pourquoi il avait choisi ce club, il me répondit que c'était le club le plus proche de chez lui, chez lui s'avérant être la même rue où habitaient mes beaux-parents.
Vous croyez au hasard, vous ? Moi, pas du tout. Je sais que le monde est petit, particulièrement à Strasbourg. N'empêche que depuis, je surnomme L. "ma chaîne d'ADN". Il est ma deuxième chaîne hélicoïdale, celle qui croise ma route régulièrement et intimement.
Il y a quelques semaines, j'ai recroisé L. chez nos amis. On a à nouveau beaucoup discuté. Il m'a notamment conseillé plusieurs auteurs de romans noirs. J'adore lire mais j'adore aussi passer beaucoup de temps à choisir les livres qui nourriront mon âme. Mais sur ce coup, je n'ai pas hésité et j'ai depuis dévoré tous les livres qu'il m'avait conseillés.
Ces quelques lignes sont le moyen que j'ai retenu pour le remercier. Il ne comprendra rien à tout ça mais ce n'est pas grave, il reste quoi qu'il advienne une part de mon ADN.
Paris, le 11 juillet 2009