samedi 29 décembre 2018

#MAVOIX (2016) : histoire d’une innovation démocratique

Celles et ceux qui me connaissent le savent, ma vie a été bercée par #MAVOIX en 2016 et 2017. Ils le savent d’autant mieux que je me suis fait le prosélyte de ce collectif sur mes réseaux sociaux.

Les mois ont passé et les Gilets Jaunes sont là pour me rappeler que nous n’étions pas tellement en dehors des clous. Nous étions par contre certainement un peu trop tôt, et assurément en pleine vague macroniste.

Les mois ont passé et j’ai eu envie de revenir sur cette histoire qui est restée écrite avec un petit h.

#noussommescellesetceuxquenousattendions

Pour moi, tout cela a commencé fin 2015. Une copine-qui-me-veut-du-bien m’avait parlé d’un collectif en train de se monter et qui devrait me plaire.

Fin 2015, avec beaucoup de concitoyen-ne-s, je pleurais Charlie Hebdo et je me redonnai espoir en regardant Demain, le documentaire écolo-post-moderniste de Cyril Dion. Avec ma copine, nous discutions de nos cœurs et de nos tripes et je lui exposais mes envies et mes combats. Nous avions des idées d’événements, mais rien de bien concrets car ponctuels et sans travail de fond. Il faut dire que ma copine est plutôt du genre révélatrice de supers-pouvoirs, alors que moi je suis plutôt du genre lanceur d’initiatives, fort de mon super-pouvoir de connecteurs d’idées et d’humains.

17 mars 2016 : hacker l'Assemblée Nationale

Ma copine m’a invité à une première réunion le 17 mars 2016 dans un troquet de Strasbourg. Nous sommes une trentaine de personnes, tous en manque de combats politiques au sens noble du terme, des citoyennes et des citoyens désespérés du manque d’envergure des élus et partis, notamment Verts, PS, PC et Modem. Tous déçus et pourtant désireux d’être utiles pour améliorer la vie et la santé des Terriens et de la Terre. En toute modestie. 

Les organisateurs nous présentent #MAVOIX, un collectif composé de quelques personnes qui ont envie d’élire à l’Assemblée Nationale des députés tirés au sort qui seraient les porte-paroles des citoyens souhaitant, grâce à des outils favorisant l’intelligence collective, co-construire et co-décider en temps réelle des Lois qui régissent nos droits et devoirs. Le retour d’une démocratie réellement participative dans une France où le pouvoir politique a depuis longtemps emprisonné son peuple dans une peine de cinq ans entre chaque élection. Elire un jour, se taire … cinq ans.

Les trois animateurs de la rencontre nous proposent d’abord de visionner une vidéo qui avait été réalisée fin décembre par quelques personnes. Trois minutes et onze secondes plus tard, nous savons tous pourquoi nous sommes réunis ici ce soir. Entre temps, nous avions vu des bouches de tous les âges et de toutes les couleurs débiter une suite de phrases formant un ensemble de convictions constituant l’ADN de #MAVOIX. 


A la suite de la vidéo, on nous explique que la réunion se tient à Strasbourg car un député du coin venait de démissionner pour raison de santé et que se profilait donc la dernière élection législative partielle possible avant le scrutin national de 2017. Pour #MAVOIX, cela représentait une opportunité de tester la mobilisation du collectif si des contributeurs de Strasbourg acceptaient de se lancer dans la campagne. De plus, la semaine précédente, des contributeurs de toute la France avaient voté à 82% pour leur engagement à soutenir la campagne de Strasbourg si un collectif local se créait et se mettait en mouvement. 

La question était donc de savoir si parmi les personnes présentes, certaines seraient partantes pour mener une campagne électorale. La date de la partielle était connue et fixée au 16 mai 2016. Mais comment on fait ? Qui est le candidat ? Qui va nous aider ? Qui va nous financer ? Devons-nous créer un parti ? La seule certitude que nous avions, c’était que le temps pressait.

L’un des participants a alors proposé un tour de table pour savoir si l’un.e d’entre nous voulait être candidat.e. On a vite compris que ce participant le souhaitait ardemment. Quand mon tour est venu de prendre la parole, alors que certains pensaient que je serais volontaire, j’ai expliqué que je pensais vraiment que c’était la génération de mes parents et la mienne qui avions failli quelque part pour en arriver là et que je ne me voyais certainement pas représentatif d’un futur différent. Par contre, prêt à aider, oui tout à fait.

Après ce tour de table, l’idée a germé de mettre des noms dans une urne pour voir qui pourrait être le représentant de #MAVOIX à Strasbourg. Après discussion, on en a tous conclu que l’idée d’un tirage au sort entre nous ne rimait à rien et qu’un tirage au sort plus large pourrait effectivement être beaucoup plus intéressant. Avis aux amatrices et aux amateurs !

Sur ces conclusions, l’un des participants a proposé aux personnes intéressées de se revoir le lundi suivant pour élaborer le plan d’actions de la campagne. Dans la soirée, je publiais l’annonce de la réunion suivante sur la page Facebook de #MAVOIX.

24 mars : rencontre publique

Nous étions une trentaine une semaine plus tôt, nous nous retrouvons à une douzaine aujourd’hui. La question : comment aller faire connaître #MAVOIX ?

Très vite, deux idées émergent : des réunions de type Tupperware pour sensibiliser des ami.e.s et des ami.e.s d’ami.e.s ; ou bien des rencontres dans des lieux publics pour rencontrer les futurs électeurs et leur expliquer notre approche. Très vite, c’est cette seconde option qui a été retenue et rendez-vous est pris le lundi suivant pour affiner cet événement.

Pendant ce temps, des conférences téléphoniques et vidéos étaient organisées avec des contributeurs de toute la France pour imaginer comment trouver des candidats #MAVOIX, définir les modalités du tirage au sort des candidats et les possibilités juridiques, co-construire les supports de communication et organiser le financement de la campagne.

Quelque part en France, certains ont alors imaginé de publier une offre d’emploi pour recruter un député en toute transparence : missions, salaire, profil recherché…

 
De notre côté, je me souviens encore parfaitement de cette soirée au cours de laquelle nous avons eu l’idée géniale de créer une affiche-miroir qui résumerait parfaitement notre concept : peu importait le candidat, l’essentiel étant de redonner espoir à chaque personne se reflétant dans l’affiche #MAVOIX en lui expliquant qu'elle pourrait porter ses idées, sa voix et son vote à l’Assemblée Nationale.

25 mars au 5 avril : #MAVOIX rech. Député.e

A peine l’annonce est-elle publiée sur notre page Facebook que déjà les premières candidatures arrivent de toute la France, des profils de tous âges et de toutes les cultures : sous forme de textes ou des vidéos, toutes ces « lettres de candidature » auront en commun de délivrer un message ambitieux, positif et constructif. Devant tous ces messages, notre responsabilité est décuplée, tout comme notre engouement.


Dès le 28 mars, des contributrices de Science Po Paris conçoivent le MOOC de formation #MAVOIX destiné aux postulants-candidats : un impératif de formation vivement recommandé à celles et ceux désireux d’être le/la candidat.e et son/sa suppléant.e.

28 mars : rencontre publique

Nous ne sommes plus que six réunis autour de la table, mais tous très motivés pour organiser ce premier happening public. Si nous voulons « hacker l’Assemblée Nationale », nous devons en effet commencer par hacker les esprits et les lieux publics.

Nous nous mettons d’accord pour organiser cette première rencontre le samedi 4 avril, reste à définir le lieu. La Place Kléber nous semblant trop touristique et de passage, nous optons pour la Place de la République, davantage un lieu de flânerie, mais aussi pour son nom et pour la Préfecture qui avoisine, la Préfecture étant un peu notre Assemblée Nationale décentralisée… Dès le lendemain, je publie un événement sur la page Facebook de #MAVOIX, et advienne que pourra.

Nos rencontres étant publiques et promues sur les réseaux sociaux, parmi les participants figurent parfois des journalistes. C’est l’occasion de valider la posture de notre collectif avec les journalistes : pas d’interview car personne ne peut représenter le collectif, mais la possibilité offerte aux journalistes de participer, comme tout citoyen, à nos événements et de raconter leur expérience vécue. C’est le cas avec la venue d’une journaliste qui est parmi nous et qui publie le premier article de l’histoire de #MAVOIX dans de Rue89strasbourg le 31 mars. Sa conclusion dubitative ne fait que renforcer notre motivation. 

36 mars (4 avril) : Nuit Debout débarque…

Quelques jours avant la date de notre première rencontre dans un espace public, voilà que le mouvement Nuit Debout se décline à Strasbourg et choisit pour cadre… la Place de la République.

Très vite, cette décision nous questionne. Sommes-nous en phase ou en totale opposition avec eux ? Se présenteront-ils aussi à la législative ? Que pensent-ils de nous ? Nous connaissent-ils seulement ? Restera-t-il de la place pour qu’on puisse organiser notre événement le samedi suivant ? Comment exister et nous faire entendre face à cette contestation déjà médiatisée nationalement depuis plusieurs jours ?

À notre grande surprise, la réponse à nos questions intervient quelques jours plus tard quand Nuit Debout annonce sur sa page Facebook strasbourgeoise qu’ils organisent un grand rassemblement samedi 9 avril avec banquet citoyen, concerts et une « expérimentation démocratique avec le collectif #MAVOIX » !

En moins de quinze jours, notre simple collectif de bénévoles muni de notre seul concept est déjà devenu un acteur reconnu par la sphère officielle et la sphère alternative tout à la fois.

9 avril : première rencontre sur une place publique

Comme nous l’avions co-conçu, nous installons des cordes à linge et des Bristol exprimant des débuts de phrases :

> Si j’étais élu(e) à l’Assemblée Nationale, je lancerais un débat sur…
> J'aimerais que dans la vie de ma cité, il y ait plus de…
> J'aimerais que dans la vie de ma cité, il y ait moins de…
> Si j’étais élu(e) à l’Assemblée Nationale, je… 


A peine commençons-nous à pince-à-linger nos Bristols que déjà des passants engagent la conversation avec nous et commencent à écrire leurs suites des phrases, celles-ci attirant d’autres passants et suscitant autant de nouvelles discussions entre eux. CQFD. Alors que nous n’avions jamais fait cela de notre vie, nous vivions en direct la réalité d’échanges politiques et démocratiques dans la bonne humeur. Autant dire que notre joie et notre excitation sont au rendez-vous. 

Pendant ce temps, dans le reste de la France, les contributeur.trice.s continuent de s’activer et ce même week-end, ils organisent une visite de notre future maison : l’Assemblée Nationale ! De mémoire d’huissiers travaillant là-bas, c’est la première fois que des visiteurs leur adresser la parole pour comprendre leurs métiers et les us et coutumes de ce lieu qui incarne la République.

16 avril : premier tirage au sort de l’Histoire de France pour un candidat à une élection législative

Sur la Place de la République, devant l’impressionnant Palais du Rhin, nous avons installé une tonnelle pour organiser le tirage au sort de notre candidat.e, officié par un notaire strasbourgeois que nous avons sélectionné. Face à nous, de nombreux contributeurs venus de toute la France, des sympathisants et des journalistes, crayons en main ou caméras à l‘épaule.

Nous avions informé notre notaire que le premier tirage au sort consisterait à désigner le sexe du candidat. Deux bulletins dans l’urne et le sort désigne un homme. Nous aurons donc UN candidat et UNE suppléante.

Puis vient le tirage au sort de chacun des seize postulants pour les classer dans l’ordre en cas de désistement. Le tirage au sort désigne ainsi Daniel comme le premier candidat de l’histoire du collectif #MAVOIX. A peine, son nom est-il issu de l’urne que déjà les journalistes essayent de deviner de qui il s’agit. Mais nous avions anticipé cela en décidant de ne surtout pas médiatiser notre candidat car il n’est que le représentant officiel de chaque citoyen : notre posture médiatique de non-personnification reste ainsi valable après le tirage au sort. Devant l’étonnement des journalistes, et après la fin du tirage au sort, nous invitons toutes les personnes présentes à participer à nos ateliers de co-construction des outils de notre campagne. 


Parmi les journalistes présentes, la correspondante de Libération nous avait écrit pour nous demander si elle pouvait venir le samedi précédent. Nous lui avions expliqué notre posture et répondu qu’elle serait évidemment la bienvenue, comme tous les participants. Quelques jours plus tard, elle nous avait écrit qu’elle était venu mais qu’elle n’avait pas trouvé d’angle d’attaque pour raconter notre collectif et qu’elle reviendrait donc pour le tirage au sort. Après celui-ci, alors qu’elle s’apprêtait à repartir, nous lui avons proposé de venir boire un verre festif avec nous pour clore cette journée historique, ce qu’elle accepta volontiers. En tout, elle aura ainsi passé deux samedis à nos côtés, soit près d’une dizaine d’heures, pour s’imprégner et comprendre les attentes et les espoirs des uns et des autres. Résultat, une double-page centrale dans l’édition nationale de Libération parue le 18 avril.

25 avril : dépôt de notre candidature à la Préfecture

Comme à notre habitude, nous avions lancé une invitation publique pour accompagner notre candidat et notre mandataire financier à la Préfecture. Ambiance festive et vidéo-live pour faire profiter les soutiens de ma voix dans toute la France. Quand nous sommes entrés dans le bureau de dépôt des candidatures, nous avons discuté avec les trois agents publics présents. Même étonnement de leur part quand ils nous ont fait remarqué que nous étions les premiers à nous intéresser à eux, alors que « les autres candidats se contentent d’expédier froidement leurs formalités administratives ». Vivement un autre monde.

2 mai : pose de la première affiche officielle de #MAVOIX

Damien, Lionel, les deux Daniel, Marc et moi : nous sommes six pour cette première journée de collage sur les panneaux officiels. La première affiche collée le sera devant le Lycée René Cassin, Rue Schoch, à Strasbourg.


La pose des affiches est en fait une opportunité de communiquer avec les passants. Je prends des photos, je fais des interviews vidéos. Selon leur acord, je filme ainsi l'affiche, ou leur bouche ouleur visage tout entier.

« Qui me représente le mieux ? » questionne notre slogan au-dessus du miroir de notre affiche. En voyant leur reflet sur l’affiche, les gens sont intrigués et la conversation s’engage facilement. Tous se montrent très intéressés par la démarche. Et dans les yeux de celles et ceux qui ne votent plus, je vois vite rejaillir une lueur d’espoir.


Quelques jours passent et les photos prises se retrouvent dans la plupart des médias français intrigués par ce nouveau mouvement collectif et séduits par le concept de notre affiche-miroir. 

Quant à nos interviews vidéos, ils affichent plusieurs milliers de vues, preuve d’un intérêt largement partagé.

22 mai : 1er tour de l'élection législative partielle de Strasbourg 1

Nous avons hébergé de nombreux contributeurs venus des autres régions françaises pour vivre cette nouvelle journée historique et nous aider à partager avec le reste du pays notre dernière campagne d’affichage (lever à 6h du matin), notre participation au décompte des voix dans les différents bureaux de vote, et l’annonce des résultats finaux à la Mairie de Strasbourg.

Sans surprise, c’est l’assistant parlementaire du député PS démissionnaire qui arrive en tête, devançant largement le candidat des Républicains. Alors qu’il était filmé par Arte en train de faire son clientélisme sur un marché strasbourgeois, cet assistant nous avait traités de populistes, nous reprochant notamment de ne pas connaître notre territoire. Pour la petite histoire, l’assistant sera élu au second tour mais laminé un an plus tard par un Macroniste bien éloigné de ce même territoire. A propos de Macroniste, la moitié de leurs candidats 2017 allaient être tirés au sort après une présélection… 

Et #MAVOIX dans tout ça ? 

Et bien, nous avons été les premiers surpris : 598 électeurs avaient déposé dans l’urne un bulletin sur lequel l’expression #MAVOIX s’affichait en gros caractères, les noms de notre candidat et de sa suppléante étant écrits en petits caractères. Total : 4,25% des suffrages exprimés. 

Après cinq petites semaines d’existence en partant de rien, fort d’un formidable élan d’intelligences collectives réunies, notre collectif terminait septième des 12 candidats en lice.

Un simple collectif de citoyen.ne.s avait donc réussi à faire tirer au sort un candidat qui s’est présenté officiellement à une élection légistative. 

Au-delà de cette première dans l’Histoire de France, nous avions pu mesurer l’intérêt suscité par les idées et le concept que nous défendions. 

C’était la première fois qu’un collectif à la gouvernance horizontale, sans chef, sans adhésion, se présentait à une élection législative pour porter les voix de toutes les Françaises et de tous les Français. 


Un an plus tard se déroulaient les élections législatives nationales #MAVOIX se présentait dans 43 circonscriptions de France et de l’étranger. Strasbourg était à nouveau de l’aventure.

Tous mes remerciements à Adeline's, Andrea, Isabelle, Manon, Maria, Mary-Laure, Véronique’s, Quitterie, Stéphanie, Abel, Aldo, Damien's, Daniel’s, David, Frédéric, Hubert, Lionel, Marc, Manu, Patrick, Philippe's, Thierry, Thomas, Toàn, et tous les contributeur.trice.s que je ne peux citer ici.

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